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Une Damnation électrisante Nice Opéra 09/16/2011 - et 18* septembre 2011 Hector Berlioz : La Damnation de Faust, opus 24
Charles Castronovo (Faust), Oksana Volkova (Marguerite), Samuel Ramey (Méphistophélès), Jean-Marie Frémeau (Brander)
Chœur de l’Opéra de Nice, Giulio Magnani (chef de chœur), Orchestre Philarmonique de l’Opéra de Nice, Philippe Auguin (direction musicale)
Yves Coudray (mise en espace)
(© Dominique Jaussein)
Légende dramatique ou opéra en concert? Berlioz a longtemps hésité entre les deux termes pour définir son opus faustien. Dans tous les cas, il ne semble pas avoir songé à une réalisation scénique. Et hormis l’extraordinaire production parisienne (2001) confiée au génial Robert Lepage, nous avouerons qu’aucune autre n’a jamais pu nous convaincre de la nécessité de mettre en images une partition dont le pouvoir expressif se suffit amplement à lui-même.
L’Opéra de Nice a tranché la question en proposant au metteur en scène Yves Coudray de réaliser une «mise en espace» du chef-d’œuvre de Berlioz. Disons-le sans ambages, on se serait contenté d’une version de concert traditionnelle, c’est-à-dire en rang d’oignons, tant cette ébauche visuelle ratée témoigne avant tout d’une inquiétante vacuité créatrice chez son concepteur. L’essentiel de son travail repose sur les éclairages: rougeoyant quand l’action met en présence les forces démoniaques ou d’un blanc aveuglant quand Marguerite monte aux cieux... quelle originalité! Les chanteurs, quant à eux, n’ont de cesse d’aller de cour à jardin puis de jardin à cour... juste pour ne pas rester statiques, vu que leurs déplacements n’ont aucune finalité dramaturgique. Et pour toute scénographie, nous devrons nous contenter d’un fauteuil de velours rouge placé à l’extrémité gauche de la scène pendant les deux premières parties, fauteuil déplacé à droite pendant les deux dernières... (la subtilité du transfert nous échappe encore!).
Bref, l’inspiration, il faudra aller la chercher du côté de la superbe baguette de Philippe Auguin, qui dirigeait là son premier concert depuis qu’il a été nommé directeur musical de la phalange niçoise. Habité d’une fougue communicative, le chef français obtient de l’Orchestre Philarmonique de Nice une chaleur, une jubilation et une précision enthousiasmantes. Sous sa battue, l’orchestre vit, les cordes chantent, les bois se distinguent et les mille et un détails qui innervent la partition sont magnifiquement ciselés. En outre, il fait preuve d’un sens imparable de l’architecture sonore, qu’il construit avec minutie, atteignant quelques beaux paroxysmes – comme dans le trio – pour retourner au tempo et à la retenue du début dans le chœur angélique qui conclut l’œuvre. De leur côté, les chœurs, préparés par Giulio Magnani, sont superbes de bout en bout. La cohésion des registres fait notamment merveille dans la fugue de l’Amen ou la sublime apothéose finale.
Autre grand motif de satisfaction de cette matinée, le splendide plateau vocal réuni pour rendre justice à une œuvre aussi exigeante pour les voix que pour l’orchestre. Remplaçant Sergueï Semishkur, initialement prévu, Charles Castronovo – tout auréolé de son récent triomphe au Festival d’Aix-en Provence dans le rôle d’Alfredo au côté de Natalie Dessay – incarne un Faust de haute tenue. Même s’il manque parfois de l’ampleur vocale que requiert le rôle, le ténor américain compense ce déficit par une saine projection et se révèle très vaillant, justifiant ainsi pleinement le choix d’un belcantiste d’origine pour triompher des aigus et d’une vocalisation qui mettent souvent à la peine, quand ce n’est pas en péril, des ténors de répertoire plus tardif. Il est à mettre également à son crédit une diction quasi parfaite de notre langue, un timbre particulièrement flatteur et un art des demi-teintes qui enchante. L’exécution de l’ut dièse du duo d’amour donne le frisson et son «Invocation à la nature», aussi vibrante qu’émouvante, récolte des applaudissements mérités.
Membre de la troupe du célèbre Théâtre Bolchoï de Moscou, la mezzo russe Oksana Volkova est une révélation. Dotée d’une plastique de rêve (elle fait penser immédiatement à sa célèbre consœur et compatriote Anna Netrebko), elle interprète une Marguerite d’une incomparable intensité, à la fois douce et radieuse; son mezzo de velours donne un sens à chaque mot, mais la voix est aussi d’une belle ampleur, dotée de graves profonds et sa prononciation du français excellente – fait suffisamment rare chez les chanteuses russes pour être souligné. Elle délivre une «Ballade du roi de Thulé» mais surtout le fameux air «D’amour, l’ardente flamme» avec une maîtrise qui suscite l’admiration au regard de son jeune âge et il n’y a guère que le manque de stabilité de son registre medium que l’on pourra lui reprocher. Une belle découverte!
Quant au vétéran Samuel Ramey, qui fêtera ses soixante-dix printemps l’année prochaine, on reste confondu devant la prestation tant scénique que vocale de l’illustre basse américaine. Si la voix a perdu de sa souplesse d’autrefois et est entachée d’un vibrato gênant en début de représentation, la puissance de l’instrument, la beauté sauvegardée d’un timbre reconnaissable entre tous et la noblesse du moindre geste comme la pertinence du moindre regard continuent d’impressionner. A la fois ludique et cynique, il use d’une multitude d’inflexions et «La chanson de la puce» tout comme la fameuse «Sérénade» sont délivrées avec une telle intelligence et une telle élégance qu’elles balaient toutes les réserves vis-à-vis des scories que le temps a pu déposer sur la voix. Chapeau bas monsieur Ramey! N’oublions pas pour autant le remarquable Brander de Jean-Marie Frémeau qui nous offre une truculente «Chanson du rat».
A l’instar de la saison passée qui avait débuté avec d’inoubliables Dialogues des carmélites, le premier titre de la saison niçoise a été frénétiquement acclamé, laissant augurer que le départ précipité (et, rappelons-le, subi...) d’Alain Lanceron ne sonnera pas le glas de l’opéra d’une ville de haute tradition lyrique.
Le site de l’Opéra de Nice
Emmanuel Andrieu
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