Back
Retour triomphal Paris Salle Pleyel 09/09/2011 - Mikhaïl Glinka : Rouslan et Ludmila: Ouverture
Maurice Ravel : Concerto en sol
Hector Berlioz : Symphonie fantastique, opus 14
Jean-Yves Thibaudet (piano)
The Philadelphia Orchestra, Charles Dutoit (direction)
C. Dutoit (© Chris Lee)
France, Canada, Japon: il fut un temps, à la fin du siècle dernier, où le soleil ne se couchait jamais sur l’empire de Charles Dutoit: c’était l’époque où, directeur musical du National (1991-2001), il était familier du public parisien, tout en présidant parallèlement aux destinées du Symphonique de Montréal (1977-2002) et de la NHK à Tokyo (1996-2003). Dix ans plus tard, il est devenu directeur artistique et chef principal de l’Orchestre philharmonique royal de Londres (depuis 2008), directeur musical de l’Orchestre du festival de Verbier (depuis 2009) et il achève cette saison à Philadelphie un contrat de quatre ans de chief conductor, avant l’arrivée d’un autre francophone – mais premier Nord-Américain à exercer les fonctions de music director – le Québécois Yannick Nézet-Séguin.
Alors que la précédente venue de l’Orchestre de Philadelphie remontait au mandat de Christoph Eschenbach, en mai 2004 à Mogador, la présente visite s’inscrit dans le mini-festival de formations américaines qui marque la rentrée salle Pleyel: après Chicago et Pittsburgh, et de nouveau dans une salle presque comble, voici donc encore une autre tournée européenne d’une phalange de la côte Est qui s’arrête rue du faubourg Saint-Honoré. Nonobstant sa situation financière délicate, qui l’a conduit en avril dernier à se placer sous la protection de la loi sur les faillites, l’orchestre conclut ainsi une série de treize concerts entamée le 25 août en Autriche et poursuivie en Suisse, Irlande, Royaume-Uni et Allemagne, passant ainsi par onze villes en à peine plus de deux semaines.
Le chef suisse, qui fêtera dans un mois ses soixante-quinze ans, porte toujours aussi beau et n’a rien perdu de sa gestuelle élégante et de son allure élancée. De l’élan, il en faut pour emmener d’emblée l’effectif au grand complet, soixante-quatre cordes, masse encore plus fournie que celle de Pittsburgh deux jours plus tôt: c’est toutefois comme si elles étaient deux fois moins nombreuses, car si l’éclat est bien celui d’un orchestre américain, le velouté et la transparence des cordes épatent dans une Ouverture de Rouslan et Ludmila (1836) de Glinka mordante à souhait, dont le second thème met en valeur de magnifiques pupitres d’altos puis de violoncelles, jouant comme un seul homme. A l’inévitable jeu des comparaisons, cette entrée en matière révèle un ensemble sans doute moins homogène que Chicago et certainement moins gras que Pittsburgh, à la sonorité tout aussi confortable que celle de ses deux rivaux, mais doté d’une identité plus forte et d’une personnalité plus chaleureuse.
Au fil de leur itinéraire, les Philadelphiens s’associent alternativement à Janine Jansen et à Jean-Yves Thibaudet, qui apparaît à sept reprises en leur compagnie: il aura donné quatre fois le Second Concerto de Liszt – réservé pour sa prochaine visite à Pleyel, le 12 mai, avec Tugan Sokhiev et son Orchestre du Capitole – et trois fois le Concerto en sol (1930) de Ravel, qu’il avait déjà choisi en février 2005 avec le National et Kurt Masur. C’est bien là un domaine où il est chez lui, illustrant comme à son habitude une certaine idée du style français à laquelle il est identifié au-delà de nos frontières: finesse du toucher, précision des doigts, textures soyeuses, chic et distinction. Mais Dutoit, à la tête de musiciens mis en difficulté ici ou là par une partition décidément redoutable, tend à tirer la couverture à lui, soulignant le caractère jazzy du premier mouvement puis ralentissant outrageusement l’Adagio après le long solo introductif, certes pour obtenir de bien belles couleurs mais avec une expression qui tend étrangement vers Rachmaninov. Le finale réconcilie cependant tout le monde pour une course diaboliquement agile. La cinquantaine (tout juste) venue, le pianiste français réussira-t-il aussi bien dans la grande tradition germanique? La question reste entière à l’issue de son bis, l’Intermezzo en la, Deuxième des Klavierstücke de l’Opus 118 (1893) de Brahms, servi par un jeu toujours aussi subtil et aérien mais assez peu idiomatique.
Avec des premiers pupitres de bois significativement renouvelés, la Symphonie fantastique (1830) de Berlioz démarre sur des bases un peu agaçantes et incertaines, Dutoit prenant le temps de fignoler les détails dans l’introduction lente du premier mouvement. Mais dès l’arrivée de l’«idée fixe», les choses se mettent solidement en place: une interprétation de référence, certes plus proche de l’équilibre d’un Colin Davis que de la démesure d’un Charles Münch, mais conduite de façon parfaitement cohérente jusqu’au dernier accord. Que de métier dans cet art des transitions, que de charme et de légèreté dans «Un bal»! Plus soucieux d’ordre et de clarté que de bruit et de fureur, il se montre ainsi, comme Thibaudet au piano, le représentant patenté d’une esthétique à la française – ne disait-on pas qu’en près d’un quart de siècle à Montréal, il en avait fait le plus français des orchestres d’Amérique du Nord? Dès lors, la Fantastique n’est plus cette unique et géniale anomalie de l’histoire de la musique en France, mais rentre dans le rang: rien ne dépasse, c’est presque un jardin à la française. Il est des approches plus râpeuses, mettant davantage en valeur les bizarreries du propos et de l’orchestration, mais il en est peu d’aussi abouties, d’autant qu’y contribue évidemment un orchestre de premier ordre. Et s’il ne force jamais le trait grotesque, pittoresque ou trivial dans la «Marche au supplice» (sans précipitation mais privée de sa reprise) et le «Songe d’une nuit de sabbat», il ne réduit nullement leur impact pour autant.
Après son retour à Montréal en juillet, Dutoit peut savourer son triomphe à Paris, où il ne s’était pas produit depuis janvier 2002 et annoncer le bis généreux qui, toujours dans son répertoire d’élection, vient opportunément compléter un programme un peu bref: La Valse (1920) de Ravel, se tenant juste à la limite du too much, capiteuse, grisante et hédoniste, mais d’une transparence toujours exemplaire. Avant de quitter la salle après de nombreux rappels, il se penche pour serrer la main d’un spectateur au premier rang: ce n’est qu’un «au revoir».
Le site de l’Orchestre de Philadelphie
Le site de l’Académie de St. Martin in the Fields
Simon Corley
|