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Saint-Céré

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Un spectacle fort

Saint-Céré
Prudhomat (Château de Castelnau-Bretenoux)
07/30/2011 -  et 4, 7*, 12 août 2011
Piotr Ilyitch Tchaïkovski: Eugène Onéguine, opus 24

Serguei Stilmachenko (Eugène Onéguine), Ekaterina Godovanets (Tatiana), Karine Motyka (Olga), Svetislav Stojanovic (Lenski), Jean-Claude Sarragosse (Le prince Grémine), Hermine Huguenel (Madame Larine), Béatrice Burley (Filipievna), Eric Vignau (Monsieur Triquet)
Chœur et Orchestre du festival de Saint-Céré, Dominique Trottein (direction musicale)
Eric Perez (mise en scène), Ruth Gross (scénographie), Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne (costumes)


S. Stojanovic, K. Motyka (© Alain Uricht)


Festival d’art lyrique au premier chef, Saint-Céré affiche cette année deux reprises – le très noir Rigoletto de Michel Fau et le très désopilant Roi Carotte du directeur artistique, Olivier Desbordes – ainsi qu’une nouvelle production, étrennée en Suisse (Fribourg puis Guin et Vevey) en janvier et février derniers, Eugène Onéguine (1878). Lorsque le temps le permet, ce qui semble enfin le cas (malgré des soirées encore un peu frisquettes), l’opéra est donné dans la cour du château de Castelnau-Bretenoux, autrefois propriété du ténor Jean Mouliérat (1853-1932), qui sauva l’édifice de la ruine à laquelle il était promis. A l’entracte, il faut d’ailleurs prendre le temps d’aller voir une exposition photographique, déjà présentée en 1992 à l’hôtel de Sully: «Nadar: l’œil lyrique» montre une sélection des 2577 clichés pris entre 1888 et 1920 – non pas par Félix, mais par son fils Paul (1856-1939) – des plus grands artistes de son temps en costumes de scène dans leurs plus grands rôles (Emma Calvé, Vanni Marcoux, Jean Périer, ...).


Le choix de l’opéra de Tchaïkovski tranche sur l’ordinaire de ces dernières années – La Belle de Cadix, La bohème, La traviata, Le Barbier de Séville, Les Contes d’Hoffmann, ... – même si l’on se contente déjà fort bien de l’ordinaire revu par l’esprit saint-céréen: une œuvre moins connue, des «scènes lyriques» (tel est son sous-titre) dont le ressort est exclusivement psychologique, l’obstacle de la langue – le surtitrage initialement prévu n’a pu être mis en place, de telle sorte qu’un résumé détaillé du livret de Chilovsky est distribué aux spectateurs qui n’auraient pas fait l’acquisition du programme (lequel, pour le prix fort modique de 2 euros, couvre l’ensemble des manifestations). Mais le public semble convaincu, si l’on excepte d’agaçantes conversations pendant l’entracte symphonique qui ouvre le deuxième acte ou pendant la polonaise au début du troisième.


Il est vrai qu’Eric Perez, par ailleurs récitant et chanteur dans les spectacles «Apollinaire/Poulenc» et «Aragon» cette année, renouvelle la réussite de sa Flûte enchantée de 2010. Il en reprend d’ailleurs le principe scénographique, réalisé cette fois-ci par Ruth Gross: des éléments modulables et mobiles, tant verticaux en fond de scène – six panneaux qui s’éclairent tantôt de jaune, de bleu, de mauve, de violet ou de blanc, trop éclatant lorsqu’éclate la vérité – que sur le plateau même, pouvant servir aussi bien de tréteaux que de tables (une grande ou plusieurs petites). Conçus par le duo de La Flûte enchantée (Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne), les costumes s’en tiennent à des références plus traditionnelles et respectent l’époque ainsi que le lieu de l’action: moujiks plus vrais que nature au premier acte, tandis qu’au troisième acte, si le noir des choristes (comme au bal du deuxième) semble en phase avec le deuil annoncé de l’amour, le lamé du manteau du prince Grémine et de la robe de Tatiana introduit un clinquant déplacé.


Mais ce ne sont que vétilles dans un spectacle fort, dont Eric Perez ne ménage pas les protagonistes, les faisant parfois chanter allongés ou dos au public, les poussant dans leurs derniers retranchements. Osant un statisme glacial, créant de véritables tableaux – Onéguine derrière Tatiana au premier acte, l’ombre de Lenski se profilant sur les panneaux au début de la scène du duel –, il n’en anime pas moins ces deux heures et quart par une direction d’acteurs qui met à nu la violence des sentiments, l’intensité des regards échangés et le désordre des passions – comme le rapport charnel entre Olga et Lenski ou bien Tatiana écrivant sur les murs de sa chambre sa fameuse lettre à Onéguine –, sans faire l’impasse sur l’ambiguïté de la relation entre Lenski et Onéguine.


Vocalement, la réussite est presque aussi remarquable que dans Rigoletto. Le «presque» tient essentiellement à un Onéguine décevant, terne et inégal, un peu court et mal assuré, dont la confrontation avec le Grémine impérial de Jean-Claude Sarragosse fait ressortir toute la faiblesse. La Tatiana d’Ekaterina Godovanets séduit moins par son timbre et son aisance sur scène que par une prestation sans faille, s’affirmant à compter de l’air de la lettre et faisant pertinemment évoluer son personnage jusqu’à la décision finale. Mais l’Olga de Karine Motyka, belle tessiture de mezzo, possède assurément plus de saveur et de tempérament, formant un couple crédible avec le Lenski de Svetislav Stojanovic, juste et éclatant, au point d’avoir tendance à chanter trop fort et de nuire ainsi aux ensembles. Le principal point faible réside dans l’orchestre: si la direction de Dominique Trottein demeure satisfaisante, Tchaïkovski, davantage que Verdi, met à jour les limites d’un effectif très restreint (treize cordes, six bois, cinq cuivres et timbales) et à la fiabilité trop aléatoire.



Simon Corley

 

 

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