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Shakespeare au salon

Strasbourg
Opéra national du Rhin
06/19/2011 -  et 9, 11 (Mulhouse/La Filature), 21, 23, 26, 28* (Strasbourg)
Ambroise Thomas : Hamlet
Stéphane Degout (Hamlet), Ana Camelia Stefanescu (Ophélie), Marie-Ange Todorovitch (Gertrude), Nicolas Cavallier (Claudius), Christophe Berry (Laërte), Vincent Pavesi (Spectre), Mark Van Arsdale (Marcellus), Jean-Gabriel Saint-Martin (Horatio), Dimitri Pkhaladze (Polonius), Yuriy Tsiple (Premier fossoyeur), John Pumphrey (Deuxième fossoyeur)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse, Patrick Fournillier (direction)
Vincent Boussard (mise en scène), Vincent Lemaire (décors), Katia Duflot (costumes), Guido Levi (lumières)


(© Alain Kaiser)


La redécouverte progressive de tout un pan du répertoire d’opéra français du 19e siècle, initiative d’origine étrangère qui remonte déjà à trente ans au moins, n’avait d’abord retenu de l’œuvre d’Ambroise Thomas que l'inévitable Mignon, d’un romantisme peu caractérisé mais qui contient quelques airs restés célèbres. C’est d’ailleurs cet ouvrage que René Terrasson, grand défenseur du répertoire français, avait choisi de monter à l’Opéra du Rhin en 1989 : une honnête production conventionnelle, qui ne remporta qu’un succès d’estime mais avait le mérite d'exister.


Aujourd’hui c’est en revanche Hamlet (créé en 1868, deux ans après Mignon) qui semble sortir durablement de l’ombre. Peut-être en raison du format intéressant des deux rôles principaux, Hamlet et Ophélie psychiquement instables qui ont attiré ces dernières années l’attention de plusieurs chanteurs en vue. Et puis aussi, quitte à devoir s’accommoder du manque apparent de nerf de l’écriture d’Ambroise Thomas mieux vaut que ce soit pour revenir à un sujet shakespearien d’envergure plutôt qu’au Wilhelm Meister de Goethe, dont le romantisme vieilli n’est plus guère en faveur aujourd’hui. Toujours est-il que les productions attractives de Hamlet se succèdent (Genève, New York, Marseillle) et qu’il devient relativement difficile d’ignorer un ouvrage que l’on persiste cependant à trouver mineur par ses options dramatiques trop souvent en demi-teinte et ses grisailles instrumentales ton sur ton (auxquelles un saxophone certes inattendu ne change pas grand chose par ci par là). Cela dit Hamlet peut nous valoir une bonne soirée d’opéra, du moins si la distribution parvient à en relancer l’intérêt par des stimulations vocales régulièrement prodiguées.


Ce fut d’ailleurs ce facteur décisif qui contribua au succès initial d’Hamlet, créé par deux très grandes voix de l’époque : le célèbre baryton Jean-Baptiste Faure et la jeune soprano suédoise Christine Nilsson. Moins prestigieux, sans doute, le couple réuni à l’Opéra du Rhin pour défendre cette coproduction avec l’Opéra de Marseille a cependant beaucoup d’allure. L’incarnation du rôle-titre par Stéphane Degout est même assez prodigieuse, tant l’adéquation des moyens vocaux paraît en parfaite symbiose avec le personnage shakespearien tel que Thomas l’a en quelque sorte anémié : un héros certes tourmenté mais d’une élégance aristocratique qui reste toujours (trop?) clairement affirmée. L’Ophélie de la jeune soprano roumaine Ana Camelia Stefanescu, moins attendue, constitue aussi une très jolie découverte : silhouette crédible, aigu juste et musicalité qui dépasse de loin la moyenne des sopranos légers. Sa maîtrise de la langue française est également convaincante, même si son élocution n’a pas tout à fait l’aisance de celle de son partenaire. Autour de ce couple d’exception on a fait confiance à Marie-Ange Todorovitch, dont la voix bouge désormais beaucoup mais qui campe quand même une reine Gertrude d’une belle autorité, et à Nicolas Cavalier, Claudius d’une très convaincante exactitude stylistique.


En fosse Jean-Luc Fournillier défend la musique d’Ambroise Thomas avec beaucoup de tact et de passion, à la tête d’un Orchestre de Mulhouse peu moelleux mais au moins précis et attentif. Les coupures effectuées dans la partition excédent probablement de beaucoup la simple omission d’un ballet qui historiquement fut paraît-il très apprécié. Mais si l’on en juge par certaines pages terriblement conventionnelles qui ont survécu à ces coups de ciseaux (les interventions chorales en particulier), ce ne sont pas forcément de grandes pertes. L’ouvrage, en tout cas, évolue sans véritable temps mort ce qui est appréciable. En effet la touffeur ambiante rend la soirée pénible (la salle de l’Opéra national du Rhin n’est absolument pas climatisée) et il en devient d’autant plus indispensable que scène et fosse envoient suffisamment d’informations intéressantes pour que l’on puisse supporter de rester aussi longtemps figé sur place à dégouliner, le dos collé au velours de son fauteuil.


On en éprouve d’ailleurs d’autant plus de compassion pour les chanteurs, qui doivent souffrir encore bien davantage sous les cuirs et les velours des superbes costumes de Katia Duflot, intéressante évocation d’un 19e siècle stylisé. Cette élégance constitue le point fort d’une production par ailleurs relativement ingrate, emprisonnée dans un décor unique qui n’est ni beau ni laid ni vraiment fonctionnel : un banal angle de pièce à fausses boiseries, parfois dynamisé par quelques éclairages subtils, parfois réveillé par un grand miroir qui apporte un peu d’espace supplémentaire... Ce décor est tellement fermé qu’il faut finalement le surélever d’un mètre pour le tableau final, afin de gagner un rien de champ visuel en plus. Ce type de dispositif n’a rien de foncièrement nouveau et surtout il est manié ici avec un manque d’imagination peu stimulant. Quant à la mise en scène de Vincent Boussard, plutôt favorable à des chanteurs dont les dons de comédiens sont bien exploités, elle pâtit de cet environnement étriqué davantage qu’elle ne parvient à le transcender. Même complaisance pour le trop petit et le manque d’envolée dans la mort d’Ophélie, qui agonise tantôt debout tantôt couchée… dans une baignoire. Scène finale tragique (une version alternative plus tardive, qui renonce heureusement au happy end absurde de la création parisienne) où Stéphane Degout continue à nous passionner : lui, au moins, détient l’essentiel de la fibre shakespearienne dont cette production reste trop avare.



Laurent Barthel

 

 

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