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Ce soir on improvise Sisteron Cloître Saint-Dominique 07/26/2011 - Gioacchino Rossini: Sonate à quatre n° 1
Luigi Boccherini: Concerto pour violoncelle n° 6, G. 479
Claude Debussy: Deux Danses
Piotr Ilyitch Tchaïkovski: Sérénade pour cordes, opus 48
Tatjana Vassiljeva (violoncelle), Marie-Pierre Langlamet (harpe)
Philharmonische Camerata Berlin
Depuis une dizaine d’années, Edith Robert, à la tête d’ATM («Arts, Théâtre, Monuments»), qui gère la citadelle de Sisteron sur délégation de la commune, poursuit dans la lignée de son prédécesseur, Pierre Colomb, fondateur de l’association, disparu voici près d’un an: c’est lui, qui au milieu des années 1950, avait apporté une contribution décisive à la résurrection de l’un des plus anciens festivals français, qui avait connu douze éditions entre 1928 et 1939. La cinquante-sixième de la nouvelle série ne déroge pas à la règle: danse (première visite en France du Ballet royal de Nouvelle-Zélande), théâtre (Dom Juan mis en scène et joué par Francis Huster, avec Francis Perrin et Simon Eine), arts (une exposition de la Mexicaine Agueda Lozano) et, pour l’essentiel, musique. Viendra le tour du Concert spirituel d’Hervé Niquet (avec Damien Guillon), des sœurs Labèque, puis de Natalie Dessay et Michel Legrand, mais le premier des quatre concerts voit le retour de la Camerata du Philharmonique de Berlin, l’une des nombreuses formations – pas moins de trente au total! – associant des musiciens du célèbre orchestre, en l’espèce un ensemble de douze cordes (quatre premiers et trois seconds violons, deux altos, deux violoncelles et contrebasse) qui s’est constitué en 2001.
Les spectacles se tiennent soit au pied de la célèbre citadelle des comtes de Provence, lieu magique s’il en est, soit dans la cathédrale romane Notre-Dame des Pommiers, mais la musique de chambre a pris ses habitudes dans un cadre non moins remarquable, situé face à la citadelle, également sur la hauteur, mais de l’autre côté de la Durance, au confluent du Buëch. Très détériorés, l’église et le couvent des Dominicains (XIIIe siècle) ont été restaurés à l’initiative d’ATM: depuis désormais un demi-siècle, le cloître Saint-Dominique accueille donc des concerts, mais les premières années pionnières et précaires sont désormais oubliées, car entre-temps, sa rénovation a été menée à bien. En réalité, ce n’est pas dans le cloître mais dans la nef de l’ancienne église, en plein air, que sont installées les chaises et l’estrade, devant le chœur. La vue dont jouit le public au soleil couchant est donc idyllique, celle d’une scène adossée à un mur ancien, dominée par un sureau d’âge canonique et, au-dessus, par un fin clocher.
Le concert commence sagement, avec la Première des six Sonates à quatre (1804) de Rossini: un compositeur de douze ans trouve son modèle chez un autre enfant prodige, Mozart – les Berlinois se trouvent donc ici presque en terrain de connaissance. Tout irait pour le mieux si une petite bruine ne commençait à perturber le déroulement normal de la soirée. Pour le Sixième Concerto (1770) de Boccherini, la soliste, Tatjana Vassiljeva, se tient donc juste en retrait du porche et la Camerata se replie derrière elle, à l’entrée du chœur, afin de ne pas mettre en danger des instruments dont la fragilité est bien connue. Cela vaut certes mieux que de suspendre, voire d’arrêter le concert, mais force est de constater, sans surprise, que le son semble plus lointain et étouffé. Et l’on voudra bien excuser quelques flottements par le fait que la soliste et ses partenaires sont contraints à expérimenter ainsi une nouvelle disposition et à se produire dans des circonstances un peu inhabituelles.
(© Katy Cantagrel)
Le pire reste toutefois à venir, car sitôt l’œuvre achevée, la pluie se transforme en déluge. Les membres de la Camerata vont alors démontrer qu’elle n’est pas une machine à cachetonner sous le couvert de la prestigieuse étiquette Philharmoniker. Par de vigoureux gestes, ils invitent les spectateurs, comme Paul Meyer et le Quatuor Ebène l’avaient fait quelques années plus tôt, à les rejoindre dans le chœur, qui parvient à peine à contenir tout le monde. Debout, musiciens (rejoints par Tatjana Vassiljeva) et public, quelques chaises ayant toutefois été avancées pour les personnes les plus fragiles, font contre mauvaise fortune bon c(h)œur et se serrent comme ils peuvent dans le petit édifice. Mais les Berlinois en ont vu d’autres en France, notamment en 2003 durant le conflit des intermittents du spectacle. C’est donc en assez bon ordre – et, fait notable, sans la moindre réaction hostile dans l’audience – qu’on improvise cette solution de repli.
Sans entracte, simplement le temps que chacun trouve ses marques et que la harpe soit portée avec l’aide du contrebassiste Janusz Wydzik, Marie-Pierre Langlamet, soliste au Philharmonique de Berlin depuis 1993, donne les Deux Danses (1904) de Debussy: les artistes doivent s’adapter de nouveau à des conditions différentes, mais d’un point de vue acoustique, sans nul doute meilleures que dans les deux configurations précédentes, même si le son de la harpe a tendance à se perdre dans la voûte. La Française ne se limite heureusement pas à cette courte apparition et interprète en bis le Prélude de Prokofiev, septième des Dix Pièces de l’Opus 12 (1913).
Contrairement à ce qu’indique le programme du festival, ce n’est pas le Sextuor à cordes de Tchaïkovski, mais, du même auteur, la Sérénade pour cordes (1880) qui conclut: qu’à cela ne tienne, au lieu de l’agrandissement du Souvenir de Florence, ce sera finalement une version restreinte de la Sérénade. Le compositeur avait noté sur la partition qu’il souhaitait qu’elle fût jouée par le plus grand effectif. A douze seulement, la Camerata ne peut évidemment qu’ignorer cette recommandation, mais démontre avec talent qu’elle peut souffrir des exceptions. Sous l’œil de Marie-Pierre Langlamet, casée tant bien que mal avec son instrument derrière les violons, ses camarades parviennent à faire comme si tout s’était passé comme prévu: la mécanique berlinoise ne se grippe jamais et déjoue tous les pièges de mise en place, même dans l’Allegro con spirito final, pourtant pris à vive allure.
Comme les spectateurs ne sont visiblement pas encore disposés à affronter les caprices du ciel, le violoniste Romano Tommasini annonce le premier bis, le Prélude de la Suite «Au temps de Holberg» (1884) de Grieg. Manifestant jusqu’au bout leur envie de faire de la musique coûte que coûte, les Berlinois prennent congé avec le Nocturne en si majeur (1875/1883) de Dvorák, après que l’altiste Wolfgang Talirz a fait savoir au public qu’ils le dédient à la mémoire de Pierre Colomb. A l’issue de ces deux bis, par chance, il ne tombe plus que quelques gouttes – et tant pis si la pluie repart de plus belle quelques minutes plus tard...
Le site des Nuits de la citadelle
Le site de la Camerata de l’Orchestre philharmonique de Berlin
Le site de Tatjana Vassiljeva
Simon Corley
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