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Facteur (très) commun

Paris
Théâtre du Châtelet
06/20/2011 -  et 24*, 27, 30 juin 2011
Daniel Catán : Il postino (création française)

Plácido Domingo (Pablo Neruda), Charles Castronovo*/Daniel Montenegro (Mario Ruoppolo), Amanda Squitieri (Beatrice Russo), Cristina Gallardo-Domâs (Matilde), Victor Torres (Giorgio), Patricia Fernandez (Donna Rosa), Laurent Alvaro (Di Cosimo), Pepe Martinez (Le père de Mario), David Robinson (Le prêtre, Cura), Randy Razafijaoanimanana*/Théo Vandecasteele (Pablito)
Chœur du Châtelet, Alexandre Piquion (chef de chœur), Orquesta sinfónica de Navarra, Jean-Yves Ossonce (direction)
Ron Daniels (mise en scène), Riccardo Hernandez (décors et costumes), Jennifer Tipton (lumières), Jesse Belsky (recréation des lumières), Philip Bussmann (projections vidéo), David Bridel (chorégraphie)


P. Domingo, C. Castronovo
(© Marie-Noëlle Robert/Théâtre du Châtelet)



Les quatre représentations qui marquent la création française d’Il postino sont dédiées à la mémoire de son auteur, Daniel Catán (1949-2011), disparu le 8 avril dernier à Austin, cinq jours après son soixante-deuxième anniversaire. Son opéra en trois actes est bien évidemment fondé sur le film éponyme (1994), également frappé par le sort avec le décès brutal, peu après la fin du tournage, du partenaire de Philippe Noiret, l’acteur italien Massimo Troisi (1953-1994): c’est de la même rencontre (fictive) entre Pablo Neruda (1904-1973) et un jeune facteur qu’il s’agit, mais alors que Michael Radford avait préféré déplacer le scénario à la fin des années 1960, peu avant que le poète chilien ne se voie décerner le prix Nobel (1971), le livret (en espagnol), signé du compositeur mexicain lui-même, demeure fidèle à la nouvelle Ardiente Paciencia (1985) du Chilien Antonio Skármenta (né en 1940) qui avait inspiré le réalisateur britannique et remonte au premier exil italien de Neruda en 1952 sur l’île de Capri, devenue ici «Cala di Sotto».


Comme David Cronenberg procédant à une adaptation lyrique de La Mouche, l’opéra s’attache donc autant au livre qu’au film, notamment pour ce qui est de l’époque à laquelle se situe l’intrigue. La comparaison vient d’autant plus à l’esprit que deux des concepteurs de ce projet, également présenté en son temps en fin de saison (juillet 2008), se retrouvent pour Il postino: d’une part, Jean-Luc Choplin, bien sûr, directeur du Châtelet, coproducteur du spectacle avec Los Angeles, qui l’a commandé et où il a été créé en septembre 2010, et avec le Theater an der Wien, où il a été donné en décembre 2010; d’autre part, Plácido Domingo, en sa qualité de directeur général de l’Opéra de Los Angeles. Mais s’il était dans la fosse à la tête du Philharmonique de Radio France pour l’opéra de Howard Shore, il monte cette fois-ci sur scène pour endosser le rôle principal, celui du poète, que son ami Catán a écrit pour lui. Le ténor (et désormais aussi baryton) espagnol, qui a fêté ses soixante-dix ans le 21 janvier dernier (voir ici), assure à lui seul le succès public de l’entreprise. Mais il peut se payer le luxe de la modestie jusqu’à ne pas se mettre en avant au moment des longs rappels, car toute la sympathie, et même davantage, lui est d’emblée acquise: les applaudissements surgissent sitôt son premier air achevé, au début du premier acte.


Ceux qui ont été attirés par sa présence à l’affiche ont d’ailleurs toutes les raisons ne pas être déçus: la voix reste belle et homogène sur l’ensemble de la (large) tessiture, la justesse impeccable, le timbre reconnaissable entre tous, la puissance impressionnante. Un phénomène de longévité que les jeunes ténors partageant le rôle-titre à ses côtés ne manquent certainement pas eux aussi d’admirer: alternant avec Daniel Montenegro dans le rôle du benêt découvrant l’univers de la métaphore, l’Américain Charles Castronovo possède suffisamment de qualités pour ne pas pâlir trop devant l’éclat de la vedette, même s’il semble un peu se fatiguer en fin de soirée. Les (futures) épouses des deux principaux protagonistes sont moins bien distribuées: la Beatrice de l’Américaine Amanda Squitieri, issue de la formation pour jeunes artistes que Domingo a mise en place à Washington, et la Matilde de la Chilienne Cristina Gallardo-Domâs peinent dans l’aigu et abusent du vibrato. Les comprimari apparaissent en revanche plus solides, que ce soit Victor Torres en postier militant ou Laurent Alvaro en sonore maire mafieux. On ne comprend toutefois pas très bien pourquoi c’est un chanteur de flamenco qui incarne le père du facteur et entonne a capella une sorte de cante jondo pour son mariage. Jean-Yves Ossonce, de son côté, fait ce qu’il peut avec un Orchestre symphonique de Navarre dont le raffinement et la fiabilité – le cor anglais! – ne sont pas les qualités principales.


Quant à ceux qui seraient venus pour entendre non seulement une légende vivante mais également de la musique et, au-delà, assister à un spectacle lyrique digne de ce nom, ils auront sans doute regretté leur investissement. Il ne fallait certes sans doute pas attendre une folle audace de la part d’une maison californienne condamnée à vivre pour l’essentiel de ses mécènes et de sa billetterie. Mais on aura au moins appris une chose: l’enseignement de Milton Babbitt (1916-2011), l’un des leaders américains du sérialisme et de l’électronique, devait être remarquablement ouvert et tolérant. Car son élève Catán, parvenu à son cinquième ouvrage lyrique (si l’on exclut une tentative de jeunesse), malgré le souci qu’il revendique de fonder un genre nouveau, l’«opéra en espagnol», qui représenterait, ainsi qu’il s’en explique dans le programme de salle, «la culture extraordinaire dont nous avons hérité», non seulement se conforme à la tonalité la plus stricte mais ne s’efforce même pas de s’inscrire dans la suite de ses compatriotes Chávez et Revueltas. On pourra certes aisément reprocher à son style un anachronisme résolu et assumé, mais c’est surtout son manque de caractère qui est gênant, faisant penser – Italie oblige? – à de pâles copies de Puccini ou Menotti, voire de Korngold: à-plats langoureux des cordes, trompettes avec sourdines, petits balancements syncopés (évoquant la musique latino-américaine?), les procédés se répètent en boucle. Dès lors, les moments les plus réussis sont peut-être ceux où l’on entend la voix du baryton Gregorio González chanter le poème «Comprendo que tus besos» du Mexicain Manuel Acuna (1849-1873), mis en musique sous forme de rengaine doucement nostalgique que Neruda écoute sur son électrophone.


On sait le rejet viscéral, outre-Atlantique, pour tout ce qui ressemble de près ou de loin au Regietheater, volontiers baptisé là-bas eurotrash. Mais n’y aurait-il pas de demi-mesure entre les quelques excès du Vieux Continent et l’indigence accablante du Nouveau Monde? Car le livret, qui prête déjà parfois à sourire – et pas toujours aux endroits prévus à cet effet, avec ses personnages typés jusqu’à la caricature – avant que le troisième acte ne vire au mélo, sur fond d’images vidéo en noir et blanc réalisées par Philip Bussmann, est lesté par la mise en scène de Ron Daniels, qui laisse à penser qu’aucune idée n’a présidé à sa conception. Souvent contenue sur un praticable mobile qui s’avance de l’arrière vers le milieu lorsqu’un nouveau tableau commence, l’action paraît étrangement noyée dans le vide. La direction d’acteurs est tellement statique, quand elle n’est pas inexistante, que tous ont l’air empoté, ce qui relève de l’exploit pour une personnalité comme celle de Domingo. Magnifiquement éclairés par Jennifer Tipton et Jesse Belsky, les courts tableaux s’enchaînent mollement dans des décors et costumes de Riccardo Hernandez, dont le réalisme chronologique et géographique exprime une platitude sans aucun rapport avec le néoréalisme italien auquel deux affiches de cinéma font allusion au premier acte. Déplacés par les figurants lorsque des rideaux de scène ne viennent pas dissimuler la manœuvre, quelques meubles permettent de cerner les différents lieux (terrasse, chambre, salon, café, bureau de poste, port, ...), mais on n’échappe pas à la bicyclette pour le préposé ou à l’automobile grandeur nature pour le maire. Mais cette naïveté confondante, que la projection de manuscrits du poète à l’avant-scène ou en fond de plateau ne suffit pas à atténuer, a au moins le mérite de la cohérence, cadrant parfaitement avec le caractère lénifiant de la musique et du texte.


Une telle anesthésie esthétique en parviendrait presque à faire oublier le stupéfiant paradoxe sur lequel est fondée cette production: alors que vient d’être créé à Bastille Akhmatova de Bruno Mantovani, vision lucide et sans concession de l’Union soviétique qu’on s’en voudrait presque de mettre ainsi en parallèle avec un tel navet, c’est des Etats-Unis que nous parvient cette succession de vignettes édifiantes, conforme aux canons jdanoviens et consistant en l’hagiographie d’un récipiendaire, en 1953, du «prix Staline de la paix».


Le site de la Fondation Daniel Catán
Le site de Plácido Domingo
Le site de Charles Castronovo
Le site de Daniel Montenegro
Le site d’Amanda Squitieri
Le site de Victor Torres
Le site de Laurent Alvaro
Le site de Jean-Yves Ossonce
Le site de l’Orchestre symphonique de Navarre



Simon Corley

 

 

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