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Pas d’arnaque avec Les Brigands Paris Opéra Comique 06/22/2011 - et 24, 26, 27, 29, 30 juin, 2 juillet 2011 Jacques Offenbach : Les Brigands Eric Huchet (Falsacappa), Julie Boulianne (Fragoletto), Daphné Touchais (Fiorella), Franck Leguérinel (Pietro), Philippe Talbot (Le comte de Gloria Cassis), Francis Dudziak (Le baron de Campo Tasso), Martial Defontaine (Le Prince), Fernand Bernadi (Le chef des carabiniers), Loïc Félix (Antonio), Léonard Pezzino (Carmagnola), Thomas Morris (Domino), Antoine Garcin (Barbavano), Jean-Marc Martinez (Pipo), Marc Molomot (Adolphe de Valladolid), Michèle Lagrange (La princesse de Grenade), Christine Rigaud (Zerlina, La duchesse), Angélique Leterrier (Cincinella, La marquise), Charlotte Plasse (Bianca), Gersende Dezitter (Fiammetta), Ronan Debois (Le précepteur), Jean-Marc Bihour, Jean-Claude Bolle-Reddat, Laurent Delvert, Robert Horn, Nicole Monestier, François Toumarkine, Luc Tremblais (comédiens)
Chœur de l’Opéra de Toulon, Christophe Bernolin (chef de chœur), Les Siècles, François-Xavier Roth (direction musicale)
Macha Makeïeff, Jérôme Deschamps (mise en scène), Macha Makeïeff (costumes), Marie-Christine Soma (lumières)
(© Pierre Grosbois/Opéra Comique)
Six représentations ne suffisaient pas et il a donc fallu prévoir une séance supplémentaire: initialement annoncée pour le 24 juin, la reprise des Brigands (1869) à l’Opéra Comique a débuté deux jours plus tôt, pour satisfaire tous ceux qui ne demandent qu’à finir l’année sur les chapeaux de roue, même si l’entrain, comme toujours chez Offenbach, se mêle à la loufoquerie, au persiflage et à la tendresse. Coproduit avec Bordeaux, où il est réapparu dès l’automne 2009, et Luxembourg, en association avec le Palazzetto Bru Zane et Toulon, où il a déjà été donné les 15 et 17 mai dernier, le spectacle, créé à Amsterdam en 1992 puis à Bastille en 1993, a près de vingt ans. Son retour salle Favart ne tient pas simplement au fait qu’il est devenu une référence pour cet opéra-bouffe en trois actes – même si, entre-temps, Paris a notamment pu voir, début 2007 à l’Athénée, une pétillante version pour effectif orchestral réduit présentée par... la compagnie Les Brigands – ou que Jérôme Deschamps, co-metteur en scène avec Macha Makeïeff, a accédé depuis lors aux fonctions de directeur de la salle Favart: il s’inscrit dans une programmation qui, depuis plusieurs saisons, avec Zampa puis Fra Diavolo, apporte une contribution à l’étude comparée de la figure du bandit dans le domaine lyrique en France au XIXe siècle. De fait, le livret de Meilhac et Halévy et la partition elle-même, bourrés de références de tout ordre, cultivent entre autres la parodie de ces œuvres célébrissimes en ce temps-là.
Et pour ce qui est de la parodie, du burlesque et, contrairement à son prédécesseur à Favart, de la subtilité, on peut faire confiance à Deschamps et à sa bande de comédiens, passant très vite de l’un à l’autre des très nombreux costumes conçus par Makeïeff. C’est d’ailleurs l’un d’entre eux, le longiligne Jean-Marc Bihour, qui déclenche les hostilités: après avoir pris place sous des applaudissements un peu interloqués, il lève la baguette et c’est... le Prélude de Carmen qui retentit, rapidement interrompu par l’arrivée du vrai directeur musical. Il est vrai qu’il faut s’attendre à tout avec une action située, au deuxième acte, à la frontière entre l’Italie de Mantoue... et l’Espagne de Grenade. Signature de la «maison Deschiens», le bric-à-brac et les ustensiles de cuisine envahissent le plateau et contribuent aux bruitages. Autres spécialités désormais bien connues: le charabia, les onomatopées et l’imitation – à s’y méprendre – de divers cris d’animaux, qui n’empêche pas la présence de véritables poules sur scène – l’une s’échappe juste avant l’entracte pour faire tomber un pupitre de contrebasses – ainsi que de lapins et d’un âne, plus docile et silencieux que le basset aboyeur. Quant aux (fausses) volailles plumées, leur chorégraphie du deuxième acte demeure l’une des images attachantes de ce spectacle. Décors façon Heidi ou La Mélodie du bonheur puis, au troisième acte, pseudo-cour Renaissance avec hallebardier à l’authenticité (fin de Second Empire) garantie et volcan éclatant en feu d’artifice: Deschamps et Makeïeff sont les rois de l’esthétique de l’à-peu-près et du coq-à-l’âne –c’est le cas de le dire – mais le contexte s’y prête on ne peut mieux.
Dans ces deux heures et dix minutes, il y a – ce n’est pas toujours le cas dans ce répertoire – beaucoup de musique, et de bonne musique, qui plus est. A la suite, par exemple, de Marc Minkowski et de ses Musiciens du Louvre, qui se sont attaqués au décapage des nombreuses couches qui y ont été indûment ajoutées au fil des années, François-Xavier Roth et Les Siècles, sur instruments d’époque et en nombre restreint (vingt-six cordes), bien sûr, pratiquent le retour aux sources. Pour ce faire, le chef français, qui dirigeait Mignon face à la salle, a de nouveau choisi un positionnement original, certes face aux chanteurs, mais très près de la rampe, les principaux pupitres en cercle autour de lui. Il s’en explique de façon détaillée dans le programme de salle: «un maximum d’instruments tournés vers le plateau, et la place de direction reculée de l’avant-scène vers la rambarde, comme lorsqu’on a commencé à diriger Wagner à Paris.»
Soit. On peut certes se demander si ces moyens sont indispensables pour obtenir les bénéfices qui en sont espérés, mais force est de constater que les résultats escomptés sont bel et bien atteints: «Ce dispositif et les instruments d’époque rendent sa clarté à l’équilibre entre les voix et l’orchestre. Ils permettent également une meilleure précision, une plus grande vivacité en lien avec le mouvement théâtral, une meilleure imbrication des tempi entre fosse et plateau, un mélange des timbres plus harmonieux. Ce qui doit être joué avec force et dynamisme n’est jamais outrancier avec des instruments d’époque.» Ni outrancier, en effet, ni lourd, ni vulgaire: malgré une tendance à la raideur, peut-être accentuée par la sécheresse du lieu, l’ensemble bénéficie d’un peps revigorant, mais demeure suffisamment nuancé tantôt pour rappeler Rossini, tantôt pour annoncer Chabrier.
Qualité essentielle, plus encore ici qu’ailleurs, toute la distribution soigne particulièrement la diction, au point qu’on en vient à se demander pourquoi les numéros chantés sont surtitrés. Familier de ce style, Eric Huchet est un Falscappa à la fois crédible et fantoche, entouré de deux premiers rôles féminins excellemment tenus par de jeunes artistes, la soprano Daphné Touchais (Fiorella) et la mezzo Julie Boulianne en travesti (Fragoletto). Les emplois secondaires ne présentent aucune faiblesse, et quelques-uns s’illustrent même avec brio: Loïc Félix, qui dynamise l’air du caissier, et l’impayable trio de «vrais Espagnols»... d’opérette (à la Francis Lopez), où l’on retrouve Michèle Lagrange, la Fiorella de 1993, en princesse de Grenade, escortée d’un page désopilant (Marc Molomot) et d’un Gloria Cassis délirant (Philippe Talbot).
Ces Brigands ne sont donc pas une arnaque: le spectateur n’est pas volé, bien au contraire.
Le site d’Eric Huchet
Le site de François-Xavier Roth
Le site des Siècles
Simon Corley
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