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Liszt à l’étude Paris Hérouville (Eglise Saint-Clair) 06/18/2011 - Franz Liszt : Trois Etudes de concert – Ab irato – Grande Etudes de Paganini: «Andante capriccioso» – «La campanella» – «La Chasse» – «Thème et variations»
György Ligeti : Etudes (Premier livre): «Arc-en-ciel» – «Automne à Varsovie»
Serge Liapounov : Etudes d’exécution transcendante, opus 11: «Elégie en mémoire de Franz Liszt»
Richard Dubugnon : Three Dances, opus 20
Kotaro Fukuma (piano)
Gautier Capuçon, Brigitte Engerer, Nelson Freire, Gundula Janowitz, Philippe Jaroussky: durant six semaines, Auvers-sur-Oise réunit une affiche fidèle à sa réputation d’excellence. Du 4 juin au 7 juillet, la trente-et-unième édition du festival associe, pour reprendre la formule de son directeur, Pascal Escande, «Franz, Charles et Richard»: respectivement Liszt, bien sûr, en cette année 2011, Gounod, pour la «recréation mondiale» de son oratorio Saint François d’Assise le 23 juin, et Dubugnon, dixième compositeur invité, succédant ainsi à Bacri, Beffa, Campo, Connesson, Dusapin, Escaich, Hersant, Mantovani et Tanguy.
K. Fukuma
Si bon nombre de concerts prennent toujours place en l’église Notre-Dame immortalisée par van Gogh, certains se déroulent toutefois dans les villages alentours: ainsi de celui donné par Kotaro Fukuma (né en 1982), à quelques kilomètres d’Auvers, en l’église Saint-Clair d’Hérouville, qui suffit tout juste à accueillir le public venu en ce samedi soir. Issu des classes de Bruno Rigutto et Marie-Françoise Bucquet au Conservatoire national supérieur de musique de Paris et détenteur d’un premier prix au Concours de Cleveland (2003) ainsi que d’un troisième prix au Concours de Santander (2008), il a déjà enregistré Schumann et Takemitsu chez Naxos et s’inscrit sans peine dans l’une des thématiques du festival, puisqu’il a récemment publié un disque consacré à différentes Etudes de Liszt (chez Accustika), dont il offre l’essentiel au fil de son récital.
Un choix intéressant, car c’est l’occasion d’entendre des œuvres somme toute assez rarement jouées, comme l’intégralité du recueil des Trois Etudes de concert (1848), dont la dernière, «Un sospiro», a quelque peu éclipsé les deux premières. Le pianiste japonais fait sonner magnifiquement un Yamaha aux aigus hélas un peu durs et clinquants mais qui, du moins depuis le deuxième rang de la nef (à l’assise plutôt spartiate), ne paraît pas trop à l’étroit sous les voûtes du petit édifice roman. S’il fait partie de ces artistes qu’il vaut mieux écouter que regarder, tant son visage est prompt à refléter à chaque instant la souffrance ou l’extase, il n’en impressionne pas moins par son jeu très calculé, refusant de rouler des mécaniques dans le très chopinien «Il lamento», mais techniquement impeccable, à l’image de ces traits admirables de régularité dans «La leggierezza». Ab irato (1840/1852), «grande étude de perfectionnement» qui donne son titre à son disque, correspond mieux aux canons de virtuosité inhérents au genre, mais même si l’expression latine évoque une composition «sous l’effet de la colère», la main gauche n’en demeure pas moins parfaitement fluide.
C’est ensuite la riche postérité de Liszt qui est explorée, d’abord avec un autre Hongrois, Ligeti, au travers des deux dernières de ses six Etudes du Premier Livre (1985): Fukuma situe «Arc-en-ciel» dans la lignée de Berg, puis s’attache à toujours bien mettre en valeur, dans «Automne à Varsovie», l’autonomie des différents processus qui se superposent. Le Russe Serge Liapounov (1859-1924) revendique quant à lui clairement sa filiation: il a non seulement publié comme Liszt douze Etudes d’exécution transcendante (1905), mais la dernière s’intitule «Elégie en mémoire de Franz Liszt»: malheureusement, l’hommage vire à la caricature, le pastiche de Rhapsodie hongroise se noyant dans des arpèges ad nauseam.
Après l’entracte, Richard Dubugnon vient lui-même présenter ses Trois Danses (1997). Fruit d’un exercice imposé par l’Académie royale de musique de Londres, la partition devait respecter plusieurs contraintes, dont celle d’être écrite en moins d’une semaine et celle de se fonder sur une série de quatre notes. Le compositeur indique avoir été influencé par les rituels précolombiens – par leur esprit davantage que par leur musique: de fait, les titres des trois pièces rappellent ceux des cinq Danses rituelles de Jolivet – pure coïncidence, car il ne les connaissait pas encore. Leur style n’en possède d’ailleurs pas l’âpreté, que ce soit dans la sensualité scriabinienne de la «Danse érotique» ou dans les rythmes syncopés et le solide choral de la «Danse du guerrier». Ne manquant pas de citer le Dies irae, la «Danse funèbre» s’inscrit dans la descendance de Debussy et Ravel.
Fukuma n’en fait qu’une bouchée, de même que de quatre des six Grandes Etudes de Paganini (1840/1851) – pourquoi avoir sacrifié les deux autres, trop souvent négligées des interprètes? S’il ne se laisse jamais aller, le texte le contraint néanmoins à sortir de ses gonds: la technique demeure remarquable, au point qu’elle le conduit à précipiter un peu le tempo dans «La Chasse» (d’après le Neuvième Caprice) et «Thème et variations» (d’après le Vingt-quatrième Caprice). Les spectateurs, évidemment, en redemandent et obtiennent un premier bis, «Murmures de la forêt», tiré d’un autre recueil, les Deux Etudes de concert (1863). Mais Liszt n’a pas composé que des études, et c’est le Troisième Nocturne (1850) qui conclut: alors qu’il y a tellement de façon de défigurer ce très populaire Rêve d’amour, le pianiste fait accéder cette page au statut d’un «Sonnet de Pétrarque».
Le site du festival d’Auvers-sur-Oise
Le site de Kotaro Fukuma
Le site de Richard Dubugnon
Simon Corley
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