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Savoureuses Oranges

Geneva
Grand Théâtre
06/13/2011 -  et 15, 17, 20, 23, 25 juin
Serguei Prokofiev : L’Amour des trois oranges, opus 33
Jean Teitgen (Le Roi de Trèfle), Chad Shelton (Le Prince), Katherine Rohrer (La Princesse Clarice), Nicolas Testé (Léandre), Emilio Pons (Trouffaldino), Heikki Kilpeläinen (Pantalon), Michail Milanov (Tchélio), Jeanne Piland (Fata Morgana), Susanne Gritschneder (Linette), Agnieszka Adamczak (Nicolette), Clémence Tilquin (Ninette), Christophoros Stamboglis (La Cuisinière), Thomas Dear (Farfarello), Carine Séchaye (Sméraldine), Fabrice Farina (Le Maître des cérémonies), Jérémie Brocard (Le Héraut), Alexandre Faure (Le Trompette)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Orchestre de la Suisse Romande, Michail Jurowski (direction)
Benno Besson et Ezio Toffolutti (mise en scène)


(© GTG/Yunus Durukan)


Benno Besson se méfiait de l’opéra, de son tempo surtout, qui n’est pas celui du théâtre. Il franchit pourtant le pas deux fois, avec La Flûte enchantée et cet Amour des trois oranges que Genève nous ressuscite, confié cette fois au seul Ezio Tofolutti. Mais comme celui-ci était co-metteur en scène et non pas simple assistant, on peut considérer que la vérité de la production s’est préservée. Un spectacle à plusieurs niveaux, où la mise en abyme fonctionne à merveille : créé à Venise pour la réouverture du Théâtre Malibran en 2001, il se déroulait dans une Fenice que le feu avait ravagée cinq ans plus tôt – on ne s’étonnera donc pas de voir des pompiers à la manœuvre - et qui l’avait coproduit avec la Deutsche Oper am Rhein de Dusseldorf, dirigée alors par un certain Tobias Richter. D’où ce décor à la flamboyance baroque de théâtre à l’italienne où les choristes commentent souvent l’action depuis les loges. Clin d’œil aussi à… La Flûte enchantée : pour l’ancien directeur de la Comédie de Genève, disparu en 2006, les farces de la commedia dell’arte rejoignent ici le parcours initiatique de Pamina et de Tamino, dans une mise à distance fidèle à l’esprit de son maître Brecht. Fin connaisseur du vénitien Gozzi, dont L’Oiseau vert lui avait valu l’un de ses plus grands succès, Besson ose même friser parfois la tragédie dans ces Trois Oranges en forme de conte où le Prince semble d’abord un enfant qui refuse de grandir, où la vision critique – ça commence par des manifs de spectateurs - va de pair avec les fantaisies de l’imaginaire. Tout au plus reprochera-t-on, ici ou là, quelques lourdeurs dans la mise en place, avec une direction d’acteurs que l’on souhaiterait parfois plus précise et plus raffinée. Il n’empêche : ces Oranges ont de la saveur.


Comme la direction d’orchestre épouse parfaitement les intentions de la mise en scène, la production séduit par une grande homogénéité. Michail Jurowski veille à ne pas exalter exclusivement les acidités de l’instrumentation de Prokofiev, n’hésitant pas à en assombrir les couleurs, d’abord soucieux de continuité dramatique, répugnant à la démonstration virtuose - il s’accommode bien de l’orchestre de Marek Janowski, qui aurait sonné tout autrement – plus authentiquement sans doute – du temps d’Ernest Ansermet ou d’Armin Jordan… et, aujourd’hui, avec Jurowski fils. Passons sur de menus décalages entre la fosse et la scène, inhérents à toute première. Vocalement, l’opéra exige surtout un ensemble, que nous offre la scène genevoise. Chacun chante et joue juste, de même que le chœur, toujours magnifiquement préparé par Ching-Lien Wu. Du profond Roi de Trèfles de Jean Teitgen au Léandre mordant de Nicolas Testé, du Prince brillant et nuancé de Chad Shelton, dont les aigus restent cependant trop ouverts, au Héraut plein d’autorité de Jérémie Brocard, tous se situent peu ou prou au même niveau d’excellence. Jusqu’aux quatre membres de la troupe des jeunes solistes en résidence, régulièrement associée aux productions du Grand Théâtre : Trouffaldino bondissant d’Emilio Pons, traîtresse Sméraldine de Carine Séchaye, Maître des cérémonies impeccable de Fabrice Farina, délicieuse Nicolette de Clémence Tilquin. Voilà qui nous console des Vêpres siciliennes : la saison genevoise de Tobias Richter s’achève sur un sans faute.



Didier van Moere

 

 

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