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La force de Lindberg

Paris
Le CENTQUATRE
06/10/2011 -  
Ivan Fedele : La pierre et l’étang (...les temps...) (création)
Magnus Lindberg : Kraft (*)

Nicolas Baldeyrou (clarinette), Nadine Pierre (violoncelle), Magnus Lindberg (piano), Daniel Ciampolini, Francis Petit (*) (percussion), Thomas Goepfer (réalisation informatique musicale), Quatuor Renoir: Hélène Collerette, Florent Brannens (violon), Teodor Coman (alto), Marion Gailland (violoncelle)
Orchestre philharmonique de Radio France, Ernest Martínez Izquierdo (direction)




«L’Irréductible»: ce n’est pas d’un village gaulois qu’il s’agit, mais du fil conducteur que se donne l’édition 2011 d’Agora, après «L’Icône, la Voix» (2008), «Sentiers qui bifurquent» (2009) et «Prototypes» (2010). Invoquant Mallarmé («Un coup de dés jamais n’abolira le hasard»), le festival de l’Ircam, du 8 au 18 juin, questionne les relations entre arts et mathématiques au travers d’une «conférence scientifique internationale», de rencontres et, bien sûr, de manifestations artistiques, investissant les lieux les plus divers, dont la nef du Grand Palais qui accueille en ce moment le Léviathan d’Anish Kapoor. «Maître de la frénésie computationnelle et de l’intuition visionnaire» selon Frank Madlener, le directeur de l’Ircam, Stockhausen, plus particulièrement au travers de certaines des vingt-quatre «heures» de son ultime cycle Klang, est au coeur d’une programmation toujours soucieuse d’associer les disciplines artistiques et laissant évidemment une large place aux créations, comme celle de la nouvelle pièce de théâtre musical Georges Aperghis, Luna Park.


Autre création, en première partie d’un concert de l’Orchestre philharmonique de Radio France qui a suscité une belle affluence au CENTQUATRE, celle de La pierre et l’étang (...les temps...) d’Ivan Fedele, commande de l’Ircam, qui en assure la «réalisation informatique». Le compositeur italien explique avoir voulu y explorer la «relation entre deux éléments, l’eau, représentant la flexibilité, et la pierre, représentant la dureté», mais aussi s’y interroger sur différentes temporalités, celle de la composition, celles des écoutes successives et celle de la mémoire. Se défiant d’une «imagerie naturaliste», il n’en a pas moins donné des titres évocateurs à chacune des quatre sections («Rocher englouti», «Ricochet de galets», «Pierre ponce», «Pluie de cailloux»).


L’effectif instrumental consiste en un double orchestre à cordes, soit trente-deux musiciens au total, disposés symétriquement autour des quatre contrebasses, et augmenté d’un concertino sous la forme d’un quatuor soliste (en l’espèce, le Quatuor Renoir, dont trois des membres sont d’ailleurs eux-mêmes issus du Philhar’). Tout autour de l’orchestre, Daniel Ciampolini, se déplaçant au fur et à mesure de la droite vers la gauche, joue successivement d’une vaste palette d’instruments (tam-tams, cloches tubulaires, vibraphone, marimba, ...). En outre, grâce à des capteurs sans fil, trois paramètres des mouvements des solistes (vitesse, accélération et rotation) transforment le son en temps réel. Clou du spectacle: le percussionniste exécute une cadence dont la musique est entièrement générée par le dispositif électronique, qui «traduit» ses gestes selon un processus préalablement étalonné. Ce chaos qui, tour à tour, clapote, bourdonne et crisse s’écoute sans déplaisir, même si les effets façon Les Maîtres du mystère tendent à lasser quelque peu durant ces trente-trois minutes.



E. Martínez Izquierdo


A la faveur de l’entracte, les spectateurs ont migré de la salle 400 de l’ancien service municipal des pompes funèbres vers la «nef Curial» – le général ayant donné son nom à la rue adjacente – de même que les musiciens, rejoignant leurs collègues déjà installés sur une scène légèrement surélevée dont la surface est sans doute aussi importante que celle dévolue aux rangs de chaises, toutes de plain-pied. Ce vaste volume sous une verrière se révèle acoustiquement satisfaisant, le principal inconvénient provenant brièvement de cris d’enfants, apparemment depuis l’autre extrémité de l’édifice.


Au lendemain de la visite d’Esa-Pekka Salonen à l’Orchestre de Paris, voici l’une des très nombreuses oeuvres qu’il a créées de son ami et aîné de trois jours seulement, Magnus Lindberg – et pas des moindres, puisqu’il s’agit de Kraft (1985). Mais c’est ici Ernest Martínez Izquierdo, par ailleurs director titular y artístico de l’Orchestre symphonique de Navarre, qui est à la tête du Philhar’, ayant troqué sa sobre tenue traditionnelle de la première partie pour un polo blanc, des oreillettes et, autour du cou, un sifflet avec lequel il donne le départ des hostilités. Parmi les solistes, trois sont membres du Philhar’ – le nouveau clarinettiste solo Nicolas Baldeyrou (venu du National), la violoncelliste Nadine Pierre et le percussionniste Francis Petit – les deux autres étant Daniel Ciampolini, de nouveau, et le compositeur lui-même au piano. Au demeurant, les percussions ne sont pas exclusivement confiées aux deux spécialistes: les trois autres solistes sortent parfois de leur rôle traditionnel pour frapper des gongs, cymbales antiques et autres instruments plus ou moins usuels, pour se livrer à des bruitages divers ou, comme le chef, pour marmonner chuchotements et onomatopées.


Dans cette pièce en deux parties enchaînées d’une durée identique à celle de Fedele, il est également question de pierres et d’eau, mais dans un tout autre registre: parmi l’attirail dont disposent les cinq solistes, il y a en effet des galets qui s’entrechoquent et des seaux qui font glouglou quand on souffle dedans avec un tuyau en plastique. C’est que, pour l’occasion, Lindberg s’est mué en ferrailleur, récupérant les objets les plus insolites: tambours de freins à la (Lou) Harrison, chaînes, ressorts, barres et tubes métalliques, sans compter une enclume, comme pour une nouvelle Construction in Metal de Cage. Comme Kinetics ou Engine, le titre renvoie à la machine, à l’industrie, à l’usine: c’est le retour du constructivisme soviétique des années 1920, revu par le rock punk.


Matière à l’état brut, pour ne pas dire primitif – même si le compositeur dit s’être aidé de l’ordinateur pour écrire cette partition complexe, avec ses accords contenant jusqu’à soixante-dix notes – cataclysmes varésiens, paroxysmes, l’auditeur est emporté par cette force – Kraft en allemand – plus positive que violente et cerné par cette musique. Face à un gigantesque effectif instrumental, qui comprend lui-même des clarinettes, une section de violoncelles, des percussions et un piano, les solistes bénéficient d’une amplification, mais la spatialisation provient aussi de ce que ceux-ci et certains groupes de l’orchestre se déplacent pendant l’exécution, quittant momentanément la scène pour rejoindre l’un des petits podiums qui entourent le public: c’est le cas des cuivres ou, à la fin de la première partie, de ce déluge de piccolos préparé par une lente marche de gongs, l’une des deux plages de pure poésie que réserve quand même ce maelstrom.


Alors âgé de vingt-sept ans seulement, le compositeur finlandais signait une partition dont la démesure – pas seulement celle des moyens requis – et l’originalité s’apparentent à celles des grandes utopies du siècle passé, depuis Déserts jusqu’à Répons, en passant par Gruppen et Les Soldats, presque mythiques alors que (ou parce que) elles ne sont pas souvent données: une chance qu’il fallait donc saisir et qu’Agora a bien fait d’offrir au public de la capitale.


Le site d’Agora
Le site Ernest Martínez Izquierdo
Le site de Daniel Ciampolini
Le site du Quatuor Renoir



Simon Corley

 

 

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