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Triste fin pour le Ring

Paris
Opéra Bastille
06/03/2011 -  et 8, 12, 18, 22, 26, 30 juin 2011
Richard Wagner : Götterdämmerung
Torsten Kerl (Siegfried), Iain Paterson (Gunther), Peter Sidhom (Alberich), Hans-Peter König (Hagen), Katarina Dalayman (Brünnhilde), Christiane Libor (Gutrune, Troisième Norne), Sophie Koch (Waltraute), Nicole Piccolomini (Première Norne, Flosshilde), Caroline Stein (Woglinde), Daniela Sindram (Deuxième Norne, Wellgunde)
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction)
Günter Krämer (mise en scène)


T. Kerl (© Opéra national de Paris/Elisa Haberer)


La boucle est donc bouclée, voilà la fin du Ring qu’on attendait à l’Opéra depuis plus de cinquante ans. Il s’achève sans gloire, dans une mise en scène presque unanimement huée le soir de la première, comme si anciens et modernes s’étaient réconciliés sur le dos de Günter Krämer. Sans hurler avec les loups, on conviendra qu’ils n’avaient pas tout à fait tort. Pas d’idée force, d’abord, pas de vision. Du recyclage, plutôt. La mise à distance du mythe par l’ironie rappelle des souvenirs : que Brünnhilde range bourgeoisement sa vaisselle pendant le récit de Waltraute, que Siegfried se cache derrière un Gunther niais mais travaillé par sa libido comme un copain qui aiderait son pote à coucher avec son ex, cela laisse aujourd’hui de marbre. Que la scène des Gibichungen soit introduite par des serveuses dansant sur des tables de brasserie, que le mariage ressemble au finale des Maîtres chanteurs ou à une fête de la vendange quand le chœur agite des drapeaux frappés d’une grappe de raisin – le vin du Rhin, évidemment -, que les Filles du Rhin tiennent à la fois des sirènes et des entraîneuses, que les Nornes deviennent des pin-up des années soixante, cela ne fait plus ni chaud ni froid, et frise parfois le ridicule. Ne parlons pas de la vidéo pour l’eau ou le feu.


L’omniprésence d’Alberich, en revanche, se justifie : travesti au début en mère de Hagen, il pousse son fils dans sa chaise de paralytique, avant de tuer lui-même Siegfried, pour finir trucidé par les trois ondines. Sans voir là l’invention du siècle, on adhère volontiers à cette trahison de la lettre et à ce retour au début de l’histoire. A vrai dire, le problème réside ailleurs. On est surtout gêné par l’absence totale de vraie mise en scène, par l’indigence de la direction d’acteurs, dont le pauvre Hagen, rivé à son fauteuil roulant, constitue le plus criant exemple. Le récit de Waltraute, qu’il faut animer, tombe complètement à plat, comme la scène finale. Le metteur en scène ne va pas jusqu’au bout de ses idées : il ne tire rien, par exemple, de la trivialisation vaudevillesque de la fin du premier acte. C’est tout au plus de la mise en espace, à grand renfort d’effets inutiles et coûteux. La journée la plus longue du Ring appelle pourtant, plus encore peut-être que les autres, un vrai travail de fond, faute de quoi les personnages perdent vie.


Dommage : certains chanteurs se situent très haut et pourraient, guidés par un metteur en scène digne de ce nom, nous laisser de grands souvenirs. A commencer par le meilleur de tous, le formidable Hagen de Hans Peter König, vraie basse au timbre noir, capable de se mesurer aux grands d’hier, bloc de haine absolue, aux appels surgis des abîmes du mal. Il y avait quelque danger, pour Sophie Koch, à aborder le mezzo grave de Waltraute – elle qu’on sentirait plutôt évoluer vers le falcon : sans avoir les accents tragiques d’une messagère de l’au-delà, elle ne s’y brise pas, préserve l’homogénéité des registres, silhouette émaciée d’oiseau de malheur sanglé dans sa robe noire, Walkyrie fébrile, presque affolée par son propre récit. Belle Gutrune aussi de Christiane Libor, à la voix charnue, rien moins qu’oie blanche, vraie rivale pour Brünnhilde, qui fait exister la pauvre fille victime et complice de l’horrible machination. Gunther n’est pas un rôle moins ingrat : Iain Paterson, déjà Fasolt dans L’Or du Rhin, lui prête sa voix riche, jusque dans un aigu souvent sollicité, conduite avec style, à la ligne sûre. Alberich n’a pas changé : revoici Peter Sidhom, aussi venimeux mais pas plus noir que naguère, si humain finalement, trop humain même. Les Nornes et les Filles du Rhin sont impeccables – même dans les passages chromatiques, périlleux pour la justesse, les ondines tiennent bon. Et le chœur a été soigneusement préparé – les ténors ne crient jamais leurs aigus.


Restent les deux héros : Siegfried et Brünnhilde, malheureusement, ont du mal à convaincre. Toujours innocent, voire infantile, devenu volage, le Wälsung de Torsten Kerl aurait dû trouver ses marques : Le Crépuscule s’accommode d’une voix moins héroïque que Siegfried, surtout au troisième acte. Le ténor allemand reste insuffisant, révélant un timbre encore plus nasal qu’hier. Il phrase assez joliment son premier acte, se tend dangereusement dans le deuxième. Au troisième, la scène du Rhin, la plus légère du rôle, laisse bien augurer de la mort de Siegfried : curieusement, il y cherche sa ligne et ses notes. Il était temps aussi, pour Katarina Dalayman, que l’opéra s’achève : la scène finale frôle le naufrage, avec des aigus aux attaques de plus en plus imprécises, des registres défaits. Le premier acte, pourtant, semblait rappeler sa Brünnhilde aixoise, vaillante, émouvante, maîtrisée – passons sur une voix ordinaire et monochrome. Les éclats de colère désespérée du deuxième acte, dont beaucoup il est vrai ne sortent pas indemnes, l’épuisent ensuite : si elle les assume tant bien que mal, elle n’a plus de réserves pour le troisième. Plus que jamais, Hagen est le véritable protagoniste de ce Crépuscule.


Très applaudi par ses musiciens galvanisés, Philippe Jordan impressionne toujours par sa maîtrise de l’orchestre wagnérien – qu’il dirige sans partition. Peu de chefs débrouillent ainsi l’écheveau polyphonique, parviennent ainsi à éclairer et à éclaircir les plans sonores : on croirait lire la partition. Pas la moindre lourdeur dans les pompes du deuxième acte ou de la marche funèbre. Il n’empêche : la direction pâtit toujours des mêmes défauts. Elle tarde à trouver le chemin du théâtre, avec des chutes de tension au premier acte, dont la longueur s’éprouve, notamment dans la scène des Gibichungen et le récit de Waltraute. Elle pâtit aussi d’une certaine difficulté à créer les atmosphères : le début du deuxième acte manque de noirceur ténébreuse, la scène des ondines de fraîcheur et de piquant. Une lecture plus qu’une vision, orchestralement superbe, mais trop exclusivement plastique.


Voilà un Ring qui n’entrera pas dans l’histoire. Sera-t-il repris en 2013, pour le bicentenaire ? Il faudrait alors sérieusement revoir la copie.



Didier van Moere

 

 

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