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Mozart en cage Strasbourg Opéra national du Rhin 05/11/2011 - et 13, 15 (15h), 17*, 19, 21 (Strasbourg), 29 (15h), 31 mai, 2 juin (Mulhouse) 2011 Wolfgang Amadeus Mozart : Die Entführung aus dem Serail, K. 384 Laura Aikin (Konstanze), Szabolcs Brickner (Belmonte), Daniela Fally (Blonde), Markus Brutscher (Pedrillo), Reinhard Dorn (Osmin), Christoph Quest (Pacha Selim)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Rinaldo Alessandrini (direction)
Waut Koeken (mise en scène), Yannik Larivée (décors), Carmen Van Nyvelseel (costumes), Glen D’Haenens (lumières)
(© Alain Kaiser)
Les grands opéras de Mozart sont tous dans le même cas mais L’Enlèvement au sérail encore davantage que les autres : leur réussite dépend essentiellement du chef d’orchestre qui les dirige. Même la plus belle mise en scène et une distribution de rêve ne tiendront pas la route dans ce délicat Singspiel si en fosse sévit un incompétent ou un bousilleur.
A force de fréquenter les scènes lyriques on en aura entendus des Enlèvement au sérail assassinés par des directions impossibles, avec un pouvoir de nuisance qu’aucune mise en scène, même calamiteuse, n’aura jamais. La plus évidente vérification de cet axiome restant le dernier Enlèvement au sérail du Festival de Salzbourg : une production horripilante signée Stefan Herheim, très difficilement supportable à deux reprises sous la direction besogneuse d’Ivor Bolton (2003 et 2006) et devenant au moins poétique voire émouvante sous la baguette de Julia Jones en 2004. On se souvient aussi d’un monstrueux ratage munichois, l’un des plus douloureux que l’on ait vécus, non du fait d’une mise en scène effectivement faible ni d’une distribution perfectible, mais bien à cause d'une direction d’orchestre (Daniel Harding), qui dépassait tout ce qu’on peut imaginer de pire en matière de prétention flasque
Avec Rinaldo Alessandrini et l’Orchestre philharmonique de Strasbourg on ne se situe heureusement pas à ce niveau de médiocrité. La phalange strasbourgeoise fait même bonne figure en dépit d’un effectif restreint. En revanche la propension du chef à réduire systématiquement les phrasés des cordes en tous petits éléments trépidants d’égal calibre ne convainc guère. Manifestement ce sont les vents qui sont chargés de conférer liant et souplesse à cette macédoine d’un aspect peu engageant, mais ce procédé de déconstruction/reconstruction est tellement systématique qu’il en devient prévisible et agaçant. Heureusement Rinaldo Alessandrini reste un baroqueux italien et non un jusqu’au-boutiste hollandais, allemand ou britannique. Sa latinité providentielle oublie ici ou là d’appliquer jusqu’au bout la même monomanie, laisse parfois s’épanouir de jolies phrases… Mais quand même : le manque de luminosité, de pâte et de vie intérieure de ce Mozart nous désole, a fortiori quand toute une distribution vocale, toujours au moins honorable, en pâtit à ce point.
Car il ne faut pas compter sur ce type d’accompagnement pour embellir un timbre ni pour porter une voix : tout ici garde la transparence nue et terrifiante d’une audition de travail avec piano. La Konstanze de Laura Aikin s’en trouve cruellement desservie. Jamais l’orchestre ne l’aide, ne lui procure l’écrin confortable qui siérait à cette voix ample aux reflets métalliques dont tous les aigus, pourtant très contrôlés techniquement, paraissent criards parce qu’aucune véritable substance instrumentale ne les équilibre. Naguère titulaire de référence, qui alternait dans le rôle de Konstanze à Salzbourg avec Diana Damrau, Laura Aikin devrait peut-être privilégier aujourd’hui d’autres répertoires où elle excelle, la musique du XXe siècle en particulier. Cela dit, même raidie, son incarnation de l’un des rôles mozartiens les plus difficiles reste brillante, tant vocalement que physiquement d’ailleurs, mais aurait mérité un environnement plus favorable.
Bons comédiens et chanteurs de demi-caractère, Daniela Fally et Markus Brutscher passent mieux l’épreuve de cet orchestre émacié, hormis quelques départs incertains favorisés par l’indifférence relative du chef à la conduite des solistes. En revanche le Belmonte de Szabolcs Brickner sombre, chaque défaut d’émission et de tenue de souffle (il y en a beaucoup !) paraît grossi par une énorme loupe, alors que ses aptitudes mozartiennes (élégance du phrasé, sens de la construction des airs) restent patentes. Le seul qui, finalement, profite de l’insuffisance orchestrale est Reinhard Dorn, Osmin rugueux et peu agréable mais dont au moins les graves, peu substantiels, ne sont pas noyés et passent correctement la rampe.
La scénographie de l’équipe réunie autour du jeune metteur en scène Waut Koeken est plutôt bien pensée. Le dispositif unique, alignement de boiseries XVIIIe siècle évidées, à la fois labyrinthe et barreaux de prison dorée, évoque de façon très juste l’ambiance confinée d’un sérail, en prenant à juste titre ses distances avec un certain nombre de clichés orientalistes. On y retrouve bien l’impression ressentie lors de la visite du harem ottoman de Topkapi : un confinement luxueux où la lumière du jour, parcimonieusement accordée, ne semble provenir de nulle part. L’idée est bonne mais finit par devenir pesante à l’échelle de toute une soirée, ce d’autant plus que le plateau paraît surencombré, en particulier par un lit à baldaquin qui optiquement prend une place énorme. Là encore une exécution musicale riche de multiples plans sonores pourrait pallier ce manque d’horizon. Mais hélas il n’en est rien : Mozart reste enfermé dans cette cage et s’étiole. Ce d’autant plus que la vis comica de la soirée est aux abonnés absents. Le propos reste imperturbablement sérieux, labyrinthe amoureux où l’on souligne continuellement la détresse criante de ces dames, proches de basculer : ce pourrait être touchant mais ce n’est que répétitif et finalement indigeste. Avec un Osmin traité d’une façon aussi insignifiante, ni drôle ni même inquiétante, et un Bassa Selim livré à lui-même, qui use et abuse d’une gestique outrée, les minutes deviennent très longues. C’est dommage car le projet initial, au stade des maquettes, a dû paraître prometteur. Mais si Mozart reste affaire de jeunes chanteurs, il requiert en revanche orchestralement et scéniquement de vrais professionnels expérimentés. Cette loi se vérifie bien ici. A nos dépens.
Laurent Barthel
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