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Un Elixir revigorant Nantes Théâtre Graslin 05/20/2011 - et 9, 11 (Angers), 22, 26, 28, 31 (Nantes) mai 2011 Gaetano Donizetti : L’elisir d’amore
Edgar Ernesto Ramírez (Nemorino), Tatiana Lisnic (Adina), Yuri Kissin (Dulcamara), Jeremy Carpenter (Belcore), Stéphanie Loris (Gianetta)
Chœur d’Angers Nantes Opéra, Sandrine Abello (chef de chœur), Orchestre national des Pays de la Loire, Thomas Rösner (direction musicale)
Richard Brunel (mise en scène), Pascal lainé (décors), Claire Risterucci (costumes), Mathias Roche (lumières)
E. E. Ramirez, T. Lisnic (© Jef Rabillon)
Comme dernier titre de sa saison 2010-2011, l’ANO propose le délicieux Elisir d’amore de Gaetano Donizetti, dans une nouvelle coproduction avec les opéras de Lille, Rouen, Saint-Etienne et Limoges. Pour cette adaptation du Philtre d’Eugène Scribe, effectuée par son homologue italien Felice Romani, Donizetti a écrit une partition encore très voisine de l’esthétique de Rossini, exigeant des chanteurs une technique fortement fondée sur une grande agilité dans la vocalisation.
D’agilité, la soprano moldave Tatiana Lisnic n’en manque pas. C’est merveille que de l’entendre émettre trilles et vocalises avec la plus déconcertante facilité et la plus imparable justesse. Ainsi, l’exécution de la cabalette «Il mio rigor dimentico» laisse pantois. Son timbre fruité, son aigu lumineux et son medium corsé, alliés à de remarquables talents de comédienne – le passage de la femme hautaine à l’amoureuse fébrile est parfaitement interprété – en font une exquise Adina.
Si le jeune ténor mexicain Edgar Ernesto Ramírez possède indubitablement toutes les facultés demandées par le rôle de Nemorino, il lui manque néanmoins encore un peu d’expérience, et sa voix nécessite d’être travaillée plus avant pour s’épanouir au mieux de ses potentialités, au demeurant fort prometteuses. Sa pratique de la scène devrait également lui apporter l’assurance qui lui manque encore dans la vocalisation, propre mais trop appliquée. De même, l’air fameux «Una furtiva lagrima», s’il est honnêtement délivré, ne procure pas le frisson et l’émotion espérés. Son manque d’aplomb scénique tombe, en revanche, fort à propos pour incarner le côté gauche et pataud du personnage.
Le Dulcamara de Yuri Kissin pose problème. L’acteur est certes fabuleux dans son habit de VRP à la petite semaine, il dégage une énergie folle et sa désinvolture colle admirablement au personnage. Le timbre est flatteur, d’un joli bronze mais le baryton russe montre tout de suite ses limites dans le chant sillabato dont les méandres sont décidemment étrangers aux émissions slaves; la vélocité n’est pas au rendez-vous de même que l’italianità, pourtant primordiales dans cet emploi de baryton-bouffe belcantiste. L’Américain Jeremy Carpenter vole ainsi la vedette à ses deux partenaires masculins. Possédant exactement le physique du rôle – un bellâtre à la carrure impressionnante et au sourire carnassier – il livre une interprétation pleine de panache. A son allure de macho, il ajoute une réelle aisance dans les vocalises, une élégance dans le phrasé et un timbre vibrant. Dans le rôle de Giannetta enfin, Stéphanie Loris exhibe des moyens très prometteurs.
Sous la direction de Thomas Rösner, l’Orchestre national des Pays de la Loire s’est bien comporté, même si les cordes sonnaient parfois un peu sec, ce que l’on ne pourra reprocher aux cuivres et aux vents, particulièrement brillants. Les chœurs «maison» se sont également montrés à la hauteur de la tâche, parfaitement préparés par Sandrine Abello.
Transposée dans le milieu ouvrier agricole des années soixante, l’action scénique imaginée par Richard Brunel est une pépite d’intelligence, d’humour et de tendresse. Le personnage de Dulcamara semble le protagoniste qui a le plus inspiré le talentueux directeur de la Comédie de Valence. Endossant les habits d’un représentant en costume trois pièces, le marchand ambulant alterne moments survoltés – son show de bonimenteur patenté, à grand renfort de publicités télévisées, est hilarant – et d’autres, où l’ennui et la solitude de son gagne-pain viennent conférer une humanité touchante à ce personnage. C’est enfin à lui que revient le soin, devant le rideau baissé, d’ouvrir et de conclure le spectacle, comme si tout ce que nous venions de voir n’était qu’une fantaisie de son esprit.
Signalons, pour ceux qui ne pourraient se rendre à Nantes d’ici le 31 mai, qu’une séance de rattrapage est offerte par l’Opéra-Théâtre de Limoges, où le spectacle sera repris les 4 et 6 novembre 2011.
Emmanuel Andrieu
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