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Nicolas Joël en montagnes russes Toulouse Théâtre du Capitole 06/12/1998 - et 14, 16, 19 et 21 juin 1998 Modeste Moussorgski : Boris Godounov José van Dam (Boris), Cassandre Berton (Feodor), Sophie Fournier (Xenia), Joseph Frank (Chouiski), Anatoli Kotcherga (Pimène), Ilya Levinsky (Grigori), Tigran Martirossian (Varlaam)
Orchestre et choeurs du Capitole de Toulouse, Michel Plasson (direction)
Nicolas Joël (mise en scène et décors) Voilà un spectacle qui semble avoir divisé les toulousains : hué et sifflé le jour de la première, il a été chaleureusement applaudi le dimanche suivant ! Il faut dire que la mise en scène de Nicolas Joël a de quoi ne pas faire l'unanimité par son dépouillement extrême, les murs noirs du plateau constituant les seuls décors et les accessoires étant réduits à l'extrême. Pour éviter, dit-il, l'aspect folklorique qui s'attache d'habitude à l'oeuvre, il a situé l'action dans la Russie de l'avant révolution russe, et fait de Boris un individu parmi d'autres. Ainsi lors de la scène du couronnement le tsar apparaît vêtu pauvrement parmi la foule, tandis qu'un simulacre en riche habit impérial détourne l'attention du peuple (et des spectateurs). L'idée en soit n'est pas mauvaise et respecte l'optique de la version primitive de l'oeuvre; mais elle pose deux problèmes qui font la faiblesse du spectacle. D'abord, comme le rappelle si aimablement un programme rempli d'illustrations joliment colorées qui ne font qu'accentuer la pauvreté de la scène, Moussorgski s'était beaucoup documenté pour donner à son oeuvre le maximum d'authenticité historique et en faire une oeuvre représentative du peuple russe. Il est donc dommage de voir ses efforts réduits à néant par la seule volonté d'un metteur en scène soucieux d'éviter la convention mais qui n'a pas évité, du coup, qu'apparaissent des décalages flagrants entre ce qu'annoncent les répliques - traduites en sur-titres - et ce qu'on voit sur scène. Ensuite, un tel parti pris conduit inévitablement à une certaine banalisation de l'oeuvre et à l'effacement de sa spécificité russe, et fait reposer tout le dramatisme sur l'investissement des interprètes. Or un jeu d'éclairages et de brouillard noie très souvent leurs visages, ce qui rend encore plus malaisée leur caractérisation. De plus, si le plateau est homogène, mis à part la Xenia vinaigrée de Sophie Fournier et un Chouiski sans envergure, seuls Anatoly Kotcherga et Tigran Martirossian ont su donner à leur chant le mordant et le charisme nécessaires, Kotcherga s'étant d'ailleurs taillé un véritable succès pour son excellent Pimène (quel Boris eût-il fait !) C'est en effet le charisme qui fait le plus défaut au Boris de José van Dam, très bon chanteur mais acteur plutôt statique, qui rend bien l'humanité du personnage mais insuffisamment sa folie et pas du tout sa démesure, accentuant du coup le relatif anonymat du tsar, noyé parmi la foule des protagonistes. De même, l'absence de relief donné au personnage de l'intrigant Chouisky, un futur tsar après tout, oblitère les sombres machinations de la cour impériale. Les chanteurs ne sont dans l'ensemble guère aidés par la direction étale et très peu russe de Michel Plasson, qui reste loin du tonus qu'exige l'oeuvre. La version utilisée est la première rédaction de 1869 et non pas la version plus développée de 1872. On peut regretter que manquent ainsi l'acte polonais ou le tableau de la forêt de Kromy. Il semble qu'une partie du public Toulousain ait été déçu par cette production particulièrement terne de Nicolas Joël, qui avait pourtant réussi un fort bon Eugene Onéguine, et que les applaudissements sont plutôt allés à un plateau vocal de bon niveau, dominé de loin par l'excellent Kotcherga, mais mal soutenu par une direction peu idiomatique.
Un spectacle discutable qui clôt une saison en demi-teinte pour le Capitole, car il faut bien dire qu'aucun des opéras proposés cette année n'aura particulièrement marqué les esprits, même si on a pu noter un effort certain quant à la qualité des distributions.
Laurent Marty
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