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L’éclat du diamant brut

Paris
Salle Pleyel
04/15/2011 -  
Paul Dukas : Ariane et Barbe-Bleue
Katarina Carnéus (Ariane), Delphine Haidan (la Nourrice), Andrea Hill (Sélysette), Emmanuelle de Negri (Mélisande), Nicolas Cavallier (Barbe-Bleue), Claudine Margely (Bellangère), Karen Harnay (Ygraine), Mark Pancek (Un vieux paysan), Mathieu Cabanès (le Deuxième Paysan), Philppe Eyquem (le Troisième Paysan)
Chœur de Radio France, Orchestre Philharmonique de Radio France, Jean Deroyer (direction)


J. Deroyer (© Jean Radel)


Voir un chef français tout juste trentenaire s’intéresser au trop rare Ariane et Barbe-Bleue a quelque chose de réconfortant : on compte sur les doigts les exécutions du chef-d’œuvre de Dukas et la production de l’Opéra de Paris, en septembre 2007, n’avait guère laissé de souvenir. Que le Philhar’ ait proposé une version de concert importe peu : il n’y a guère d’action dans cette « Délivrance inutile » due à la plume de Maeterlinck, « conte en trois actes » plus fondé sur l’allégorie que sur des péripéties, où Barbe-Bleue, par exemple, n’a que quelques mesures à chanter, à la fin du premier acte. Et la direction électrique de Jean Deroyer (né en 1979) suffit à créer un théâtre imaginaire – beaucoup plus que celle de Sylvain Cambreling dans la fosse de Bastille. Dès les premières mesures, une urgence s’installe, presque une panique, la direction privilégiant une tension jamais émoussée. Une approche d’une précision très analytique, aussi, ce qui ne surprend pas de la part du directeur musical de l’ensemble Court-Circuit, familier de Boulez. La partition n’y perd nullement la séduction de ses couleurs, ni la puissance de sa générosité, alors qu’elle rompt avec une certaine tradition impressionniste et qu’elle se tient à distance, malgré une écriture très leitmotivique, de la filiation wagnérienne – on n’entend pas ressusciter explicitement, dans le Prélude du troisième acte, les plaintes d’Amfortas. L’orchestre de Dukas, s’il perd un peu de sa magie mystérieuse, a ici l’éclat du diamant brut.


Cet éclat ne ternit pas trop les voix : à l’inverse de Christoph Eschenbach dans le deuxième acte de Tristan et Isolde, le chef gère aussi bien qu’il se peut le rapport entre l’orchestre et les chanteurs – ou plutôt les chanteuses – dans une salle très sonore où le déséquilibre, souvent inhérent à la partition elle-même, risque de s’aggraver. On n’a pas, en tout cas, regretté d’entendre l’Ariane de Katarina Karnéus, dont la première Damnation de Faust genevoise d’Olivier Py avait, en 2002, révélé la proximité avec le répertoire français. Un rôle redoutable, souvent dangereusement situé dans le haut médium, plus naturellement destiné à un soprano dramatique à la française, avatar du falcon, celui d’Iphigénie en Tauride comme celui des Poèmes pour mi de Messiaen – créé en 1907 par Georgette Leblanc, la compagne de Maeterlinck, il fut repris par Suzanne Balguerie et Germaine Lubin, deux Isolde, deux Brünnhilde. La mezzo suédoise, au timbre certes un peu trop clair, remplaçait une Jennifer Wilson devant elle-même succéder à Béatrice Uria-Monzon initialement prévue : familière du rôle à la scène, elle n’a pas eu de mal à s’imposer. Parfois mis en difficulté, l’aigu tient bon et la tessiture conserve son homogénéité alors que la voix reste perpétuellement sous tension. Et l’on entend ici une Ariane pleine de noblesse, au port de princesse, particulièrement remarquable dans un très émouvant troisième acte, lorsque l’orchestre est moins envahissant. Belle nourrice au timbre chaud et profond, également, de Delphine Haidan, passionnée et inquiète, tutélaire et sororale. Les épouses captives sont vocalement impeccables, comme le Barbe-Bleue très présent de Nicolas Cavallier, le seul de tous, malheureusement, à se signaler par une articulation digne de ce nom – défaut aggravé par l’absence de surtitrage. Le Philhar’, que dirigeait le regretté Armin Jordan il y a presque trente ans dans la version Erato, aujourd’hui indisponible, montre à quel point il peut être excellent quand il est bien dirigé.


Puisse-t-on nous rendre plus souvent cet Ariane et Barbe-Bleue dont un disciple de Dukas nommé Olivier Messiaen avait en 1936, à travers une étude devenue fameuse, analysé les capiteuses beautés.


Didier van Moere

 

 

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