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Trois cents ans de solitude

Strasbourg
Opéra national du Rhin
04/02/2011 -  et 5, 7, 10, 12 (Strasbourg), 19, 21 (Mulhouse, La Filature) avril 2011
Leos Janácek : Věc Makropulos
Cheryl Barker (Emilia Marty), Charles Workman (Albert Gregor), Enric Martinez-Castignani (Dr Kolenatý), Guy de Mey (Vitek), Angelique Noldus (Krista), Martin Bartá (Jaroslav Prus), Enrico Casari (Janek), Andreas Jäggi (Hauk-Sendorf), Peter Longauer (Un machiniste), Nadia Bieber (Une femme de chambre)
Chœurs de l’Opéra National du Rhin, Orchestre Symphonique de Mulhouse, Friedemann Layer (direction)
Robert Carsen (mise en scène), Radu Boruzescu (décor), Miruna Boruzescu (costumes), Robert Carsen et Peter van Praet (lumières)


C. Workman & C. Barker (© Alain Kaiser)


Robert Carsen s’est dėjà appropriė plusieurs opėras de Janácek avec tact et originalité. On se souvient de sa Jenůfa sur terre battue, au décor virtuose entièrement composé de portes de tout format, dont une reprise inaugurait la saison dernière ce cycle Janácek/Carsen de l’Opéra du Rhin. On se souvient aussi de son époustouflante Kátia Kabanová, féerie inondée aux prodigieux reflets d'eau qui vient d’être immortalisée en DVD lors d’une reprise à Madrid. Mais Robert Carsen n’avait pas eu pour l’instant l’occasion de mettre en scène L’Affaire Makropoulos, qu’il aborde à présent à Strasbourg de façon peut-être moins inventive, travail en définitive proche des bonnes productions de l’ouvrage que l’on a pu voir ailleurs.


Il est vrai que par rapport aux opéras précités L’Affaire Makropoulos apparaît particulière : œuvre de grande maturité au langage musical dense, signée par un compositeur qui loin de rester reclus dans sa province tchèque s’est bien tenu au courant des dernières tendances esthétiques du moment. L’Affaire Makropoulos est à ce titre un véritable archétype d’ouvrage des années vingt du siècle dernier, avec son personnage central de femme fatale blasée qui anticipe celui de Lulu et son ambiance générale « années folles » où l’on retrouve même certains gadgets (dont une conversation au téléphone) du Zeitoper qui allait faire fureur à Vienne. Somme toute un ouvrage très écrit voire un peu rigide, auquel un metteur en scène aura du mal à imprimer une marque nettement plus originale que ce qui est déjà contenu dans la musique (rugueuse, âpre et puissante) voire dans le livret (une histoire insolite, aux multiples prolongements psychologiques intéressants). En l’occurrence Carsen et son équipe s’en tirent globalement bien, avec çà et là quelques trouvailles brillantes mais qui gravitent toujours autour du concept de théâtre dans le théâtre, certes central dans l'ouvrage mais aussi assez répétitif dans les productions successives de Carsen. Au cours du long Prélude on voit ainsi le personnage d’Elina Makropoulos absorber la potion qui va lui procurer 300 ans d'immortalité, puis changer toutes les minutes de robe, assistée par un essaim d’habilleuses. Après chaque métamorphose (des allures délibérément datées où l’on pourrait s’amuser à discerner une Adrienne Lecouvreur, une Violetta, une Tosca...), la chanteuse (puisqu’il s’agit effectivement d’une diva, mais nettement plus durable que les autres toutefois) fonce à pas décidés vers un rideau qui s’ouvre à l’arrière-scène, salue brièvement face une salle d’opéra imaginaire puis revient nantie d’un nouveau bouquet de fleurs. Inlassablement répété, ce petit manège installe avec une véritable efficacité la notion d'un temps relativisé, biaisé, instable qui nourrit tout l’ouvrage, et permet ensuite à la longue exposition, toujours un peu fastidieuse, des attendus de l’affaire judiciaire dite « cas Makropoulos », de conserver un certain élan grâce à cette entrée en matière insolite. De même le deuxième acte trouve d’emblée son rythme grâce à un décor surprenant : au lieu des coulisses poussiéreuses d’un théâtre on se trouve ici parachuté après la fin d'une représentation de Turandot, ambiance immédiatement reconnaissable où Carsen joue habilement sur les parallèles qui peuvent se tisser entre deux personnages de femmes également glaciales, celui de la diva et celui du rôle qu’elle interprète pour un soir (de surcroît les deux ouvrages : Turandot et L’Affaire Makropoulos, ont été créés au cours de la même année : 1926 !). A chaque fois ces trouvailles sont aussi de beaux exploits de décorateurs et de costumiers, et il ne faut pas non plus sous-estimer un énorme travail sur les éclairages, d’une virtuosité dramatique extraordinaire : les grandes productions signées Carsen sont avant tout un travail d’équipe, et leur réussite se juge aussi selon ces critères-là. Ici tout est soigné, étudié, mis en perspective, jusqu’au plus infime détail. On pourrait rêver d’une vision plus originale encore, aux prolongements fantastiques plus délirants peut-être, mais ici en tout cas la perfection du résultat emporte l’adhésion.


En tête de distribution brille Cheryl Barker, excellente spécialiste du rôle (elle l’a même enregistré avec le regretté Sir Charles Mackerras, très bonne version discographique qui n’a pour seul défaut que d’être chantée en anglais). Sa crédibilité physique est parfaite, ses attitudes de diva blasée sont bien composées, et sa voix, tranchante aux beaux reflets jamais métalliques, passe superbement bien l’orchestre. Autour d’elle la distribution gravite avec aisance, avec tout au plus des aigus peu agréables à noter chez Charles Workman, aux prises avec un rôle trop tendu. Baron Prus très solide de Martin Bartá, bonnes compositions de tourtereaux pour Angelique Noldus et Enrico Casari, très belle performance d’Andreas Jäggi, dans le rôle du vieillard qui fut naguère amoureux de l’un des avatars précédents du personnage principal… La seule véritable défaillance de la soirée provient de l’Orchestre Symphonique de Mulhouse, aux prises avec une partition difficile dont chaque pupitre ne parvient à triompher qu’au prix d’une tension permanente et surtout d’une absence d’écoute mutuelle qui plombe de nombreux passages. Friedemann Layer a beau tenter de sécuriser et de dynamiser sa phalange, il ne parvient presque jamais à en tirer un son globalement agréable voire vraiment impressionnant. Il manque à cette Affaire Makropoulos le support orchestral stable sur lequel elle devrait pouvoir s’appuyer pour devenir vraiment inoubliable, et c’est grand dommage.



Laurent Barthel

 

 

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