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Le Freischütz opéra français Paris Opéra Comique 04/07/2011 - et 9*, 11, 13, 15, 17 avril Carl Maria von Weber : Le Freischütz Sophie Karthäuser (Agathe), Andrew Kennedy (Max), Virginie Pochon (Annette), Gidon Saks (Gaspard), Matthew Brook (Kouno), Samuel Evans (Kilian), Robert Davies*/Alexander Asworth (Ottokar), Luc Bertin-Hugault (l’Ermite), Christian Pélissier (Samiel)
Monteverdi Choir, Orchestre Révolutionnaire et Romantique, sir John Eliot Gardiner (direction)
Dan Jemmett (mise en scène)
(© Elisabeth Carecchio)
Il y a certes les récitatifs que Berlioz, malgré lui, consentit au nouveau directeur de l’Opéra, de peur qu’il ne se rabatte sur « un compositeur moins familier […] et moins dévoué à la glorification » du Freischütz… et à condition qu’on s’abstienne « de rien changer ni dans le livret ni dans la musique ». Mais il y aussi tout ce que doit Weber à l’opéra ou à l’opéra-comique français : en nous le rappelant, sir John Eliot Gardiner s’inscrit dans une tradition, là où l’on n’a souvent voulu entendre que du Wagner avant l’heure. Même des Brünnhilde se sont métamorphosées en Agathe, tandis que les Siegfried quittaient la forêt de Fafner pour la Gorge aux loups et que des Hagen signaient un pacte avec Samiel. Et cela nous valut, même si l’authenticité en prenait un coup, de fabuleux moments de musique : qu’on pense à la vision de Furtwängler à Salzbourg, en 1954 !
Le chef anglais se situe donc à l’opposé, refusant délibérément de lorgner vers Wagner dans un Freischütz créé en… 1821. L’Orchestre révolutionnaire et romantique fait passer de l’air frais dans la partition de Weber, avec des sonorités moins rondes et moins fondues que de coutume, aux saveurs plus brutes et plus épicées – solos instrumentaux de toute beauté, de la clarinette, du violoncelle, de l’alto. Scrupuleusement attentive aux nuances, la direction est si vive que le théâtre ne perd jamais ses droits, notamment dans la Gorge aux loups, sans qu’elle assèche les effusions des moments lyriques, les airs d’Agathe en particulier. Magnifique chœur également, un des protagonistes de l’opéra. Une ombre au tableau ? A force de privilégier l’héritage, le chef émousse un peu le mystère, l’étrangeté : le fantastique de Weber reste très particulier… et très prophétique. Tel est peut-être le prix à payer pour assurer la parfaite cohérence de la proposition – cohérence tenant aussi à une maîtrise exemplaire de l’acoustique de la salle.
Le choix des voix en relève : des chanteurs plutôt mozartiens, qui passeraient moins bien dans une grande salle… et qui ont bien travaillé leur français. Seuls Virginie Pochon et Luc Bertin-Hugault viennent de l’Hexagone : le second, à en juger par son Ermite profond et stylé, promet beaucoup ; la première, dont les acidités semblent enfin corrigées, renoue joliment avec une tradition un peu désuète de soubrette d’opéra-comique – soulignant sans doute les limites de la démarche du chef. Confier Agathe à Sophie Karthäuser, une des Pamina du moment, en revanche, la légitime : lumière du timbre, maîtrise du souffle, conduite de la voix, quasi instrumentale dans l’air du troisième acte, tout est source de plaisir. Andrew Kennedy se situe un cran au dessous, consciencieux et homogène, trop appliqué cependant, parfois presque frileux… et tellement pataud scéniquement. Ecrasé en tout cas par le terrifiant Gaspard de Gidon Saks, un wagnérien celui-là, qui semble échappé de quelque Tétralogie, ténébreux et démoniaque mais toujours bien chantant, tellement impressionnant qu’il en devient presque incongru par rapport à la perspective adoptée - dont ainsi il incarne, lui aussi, les limites.
Dan Jemmett nous avait bousillé Béatrice et Bénédict. On se réjouit presque qu’il brille ici par son absence : ça fait moins de dégâts. Le Freischütz, pourtant, méritait autre chose qu’une direction d’acteurs totalement indigente et qu’un empilement de clichés comme la transposition dans les années 1930, avec Agathe habitant une roulotte, sur fond de toiles peintes dans l’esprit de l’époque. Une indigence frisant le ridicule lorsque, dans la forêt, Gaspard fait sa cuisine de sorcière ou que, au dernier acte, tout le monde danse la fameuse Invitation à la valse, inutilement ajoutée par Berlioz, sur une chorégraphie de distribution des prix. Dommage, mais tant pis : l’essentiel était de prouver que Le Freischütz à la française – et à la Berlioz – tenait le coup. C’est chose faite.
Didier van Moere
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