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L’Amour peint par Rameau

Paris
Salle Pleyel
03/06/2011 -  et 12 juillet (Beaune), 14 (Toulouse), 17 (Bruxelles), 19 (Wien) décembre 2010, 2 (Rotterdam), 4 (Valencia), 8 (Budapest), 11, 12 (New York) mars 2011
Jean-Philippe Rameau : Anacréon – Pygmalion

Hanna Bayodi-Hirt (Amour, La statue), Emmanuelle de Negri (La prêtresse, L’Amour), Ed Lyon (Agathocle, Pygmalion), Alain Buet (Anacréon), Virginie Thomas (Céphise)
Les Arts Florissants, William Christie (direction)


W. Christie (© Julien Mignot/Virgin Classics)


En ce dimanche après-midi pourtant bien ensoleillé, c’est presque une surprise de voir le public emplir la Salle Pleyel pour un programme qui s’aventure pourtant très loin des sentiers battus, en programment deux œuvres relativement peu connues de Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Anacréon et Pygmalion. Il faut bien avouer que le fait de voir William Christie et ses fidèles Arts Florissants à l’affiche n’a pu manquer de drainer un certain nombre de spectateurs qui se sont ainsi senti en pleine sécurité pour aller au-devant de telles découvertes, sachant à l’avance pouvoir compter sur une très haute qualité musicale.


A l’origine, Anacréon fait partie d’un plus vaste ballet qui comptait trois actes séparés, L’Enlèvement d’Adonis, La Lyre enchantée et, donc, Anacréon, ballet dont la première représentation complète eut lieu le 31 mai 1757 à l’Académie royale de musique (les deux premiers ballets ayant été déjà été donnés en 1748 devant le Roi, sur la scène du Théâtre des Petits Appartements de Versailles). La création fut très bien accueillie, avec une équipe de premier ordre qui comptait notamment Mademoiselle Puvigné dans le rôle de Lycoris, Mademoiselle Lemière dans celui de l’Amour, Monsieur Gélin dans celui d’Anacréon et Mademoiselle Davaux dans celui de la Prêtresse de Bacchus. Ecrit sur un livret de Pierre-Joseph Bernard (1708-1775), Anacréon avait fait l’objet d’une première version datant de 1754, cette fois-ci sur un livret de Louis de Cahusac (1706-1759), mais dont la majeure partie du matériau a malheureusement été perdue, la version généralement représentée datant donc de 1757.


L’histoire narre le dilemme dans lequel se trouve Anacréon, ballotté entre sa tendance à se laisser enivrer par les plaisirs du vin et l’univers de Bacchus, et sa volonté tout aussi farouche de céder aux tentations de l’Amour. Alors qu’il se laisse aller à ses premiers plaisirs en compagnie de son amante Lycoris («Le vin, la tendresse, convive, maîtresse, m’invite à jouir»), Anacréon se voit véritablement bousculé par les Ménades, conduites par une prêtresse de Bacchus, qui lui fait clairement comprendre que la jouissance à laquelle il aspire devra trancher entre Bacchus et l’Amour («Chasse l’Amour de ce séjour. Avec Bacchus point de partage: c’est un outrage»). Après que celui-ci a fini par choisir de vivre ses amours avec Lycoris («Les vrais plaisirs ne sont dus qu’à l’ivresse de nos âmes»), l’œuvre aboutit à une belle réconciliation entre les fruits de la vigne et les fruits défendus, le chœur concluant en effet la scène 6 par un vigoureux «Bacchus ne vous défend pas d’aimer: et l’Amour nous permet de boire»!


Dans le rôle-titre, Alain Buet est très bon même si – mais c’est le caractère de ce chanteur aussi talentueux que modeste – il reste parfois un peu trop sur la réserve alors qu’on aimerait davantage de spontanéité, voir de caractère grossier. Le jeu de scène (maigre compromis entre une franche version scénique et une version de concert totalement statique), qui offre notamment quelques entrées et sorties de scène et quelques attitudes généralement artificielles, ne permet pas à Alain Buet de prendre toutes les attitudes qui conviennent (il semble ainsi assez peu surpris de l’arrivée déferlante des Ménades) sans que cela n’altère son chant pour autant, tout spécialement dans les adresses qu’il lance à Lycoris dans la première scène de cet acte-ballet. Si elle apparaît plus impliquée théâtralement parlant, Hanna Bayodi-Hirt ne parvient pas vraiment à s’approprier la partition en raison d’une diction trop difficilement compréhensible («Par la voix de l’Amour, la pitié vous implore» à la scène 4). Mais, avouons-le sans détour: la réussite de cette œuvre tient aujourd’hui avant tout à l’excellence de l’orchestre et des chœurs des Arts Florissants. Comment passer sous silence les superbes flûtes (traversières ou piccolo) de Serge Saitta et Charles Zebley lorsqu’elles accompagnent les interventions d’Anacréon à la scène 1 (airs «Nouvelle Hébé, charmante Lycoris» et «Point de tristesse: passons nos jours»)? De même, on ne peut que saluer l’orchestre à la fin de la scène 3 et dans la scène de l’orage (début de la scène 4) où l’on croirait entendre du Vivaldi grâce aux cordes trépidantes et au vrombissement du tonnerre assuré avec une parfaite justesse par le percussionniste David Joignaux.


C’est également l’orchestre qui, d’emblée, prouve ses immenses qualités en attaquant Pygmalion, autre opéra-ballet de Rameau (1748), dont on a déjà pu apprécier les mérites à Aix-en-Provence en juillet dernier. Bâti sur un livret de Ballot de Sovot, qui n’était autre que le frère du notaire de Rameau, qui s’est lui-même inspiré du texte qu’avait écrit Antoine Houdar de La Motte (1672-1731) pour un précédent opéra de Michel de la Barre (1675-1745), il raconte le thème bien connu de l’artiste dépassé par le fruit de sa propre création. Le sculpteur Pygmalion tombe amoureux de sa statue («Fatal Amour, cruel vainqueur, quels traits as-tu choisis pour me percer le cœur!») au point de même demeurer insensible aux charmes et aux colères de sa tendre Céphise. Après que l’Amour a animé la statue et incité ses suivantes à célébrer ce nouvel hymen («Empressez-vous, aimables Grâces, hâtez-vous d’achever l’ouvrage de l’Amour», scène 4), les différents protagonistes célèbrent à l’envi l’Amour et ses prodiges.


Ce bref ballet débute par ce qui est peut-être sa plus belle réussite, une Ouverture où, sans raideur, William Christie entraîne ses troupes avec une belle vigueur, les hautbois et bassons se divertissant au milieu de cordes parfaitement acérées. Dans le rôle de Pygmalion, Ed Lyon séduit davantage qu’en première partie grâce à une voix qui porte loin et à un véritable sens de la diction, mais on ne peut que regretter des fins de phrase facilement criardes (par exemple, dans les passages «Une vive clarté se répand dans ces lieux» ou «O Vénus! Ta puissance infinie») qui se doublent, en quelques occasions d’une justesse toute relative. Hanna Bayodi-Hirt semble également plus à son aise (on soulignera notamment son très bel air «Tout ce que je connais de moi, c’est que je vous adore» à la fin de la scène 3), tandis qu’Emmanuelle de Negri incarne de son côté une parfaite Amour. Encore une fois, la palme revient aux instrumentistes (et, de nouveau, aux flûtistes qui sont admirables en accompagnant l’air célèbre de Pygmalion «Règne Amour, fais briller tes flammes», scène 5) et aux chœurs, dotés d’une très belle plénitude dans «L’Amour triomphe, annoncez sa victoire» (scène 5).


Entre deux bis (tous deux issus de Pygmalion), William Christie, tout spécialement applaudi par un public conquis, eut le loisir de s’installer dans le confortable fauteuil posé devant l’orchestre (unique accessoire de la mise en scène): personne ne lui a naturellement contesté ce privilège tant il fut, une fois encore, l’artisan principal de cette magnifique représentation. A quand, un jour peut-être, L’Endriague, La Guirlande ou Zéphyre, dont il nous a donné au disque des versions de référence et qui permettraient de prolonger cette redécouverte de Rameau dans des conditions idéales?


Le site des Arts Florissants



Sébastien Gauthier

 

 

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