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Opus 61 Paris Théâtre des Champs-Elysées 02/22/2011 - Ludwig van Beethoven : Concerto pour violon, opus 61
Nicolas Bacri : Cantate n° 4, opus 44
Robert Schumann : Symphonie n° 2, opus 61
Elodie Méchain (contralto), Patricia Kopatchinskaja (violon)
Ensemble orchestral de Paris, Roger Norrington (direction)
P. Kopatchinskaja (© Marco Borggreve)
A bientôt soixante-dix-sept ans, Roger Norrington, dont la précédente venue dans la capitale remontait à avril 2008 avec son Orchestre de la Radio de Stuttgart (où Stéphane Denève lui succédera au poste de Chefdirigent à compter de la saison 2011-2012), fait ses débuts avec l’Ensemble orchestral de Paris (EOP), qu’il a visiblement conquis. Et cela s’entend tout au long du concert: même si la séduction et la précision instrumentales semblent assez souvent éloignées de l’optimum, les musiciens jouent le jeu pour s’investir pleinement dans les conceptions originales du chef anglais et font preuve d’une cohésion qui n’a pas toujours été aussi évidente par le passé.
Patricia Kopatchinskaja (née en 1977) a récemment enregistré le Concerto (1806) de Beethoven avec Philippe Herreweghe (Naïve). Elle trouve donc ici aussi un partenaire soucieux de renouveler profondément l’approche du grand répertoire, dans cette quête aussi inlassable que chimérique d’une plus grande «authenticité». Fidèle à ses attitudes excentriques et décalées qu’elle continue de cultiver à la manière d’un (Nigel) Kennedy ou d’un Gilles Apap, la violoniste moldave se produit pieds nus et, alors que Norrington dirige par coeur, sans estrade ni baguette, elle a déployé la partition sur un pupitre. Pourtant, dans l’entretien reproduit dans le programme de salle, elle indique concevoir l’oeuvre comme «une symphonie pour orchestre, avec un violon improvisant»: une idée qui en vaut bien une autre, mais qui donne l’impression d’être principalement destinée à justifier tout et, plus encore, n’importe quoi. Dans cette «improvisation», ce sont paradoxalement les passages où le soliste dispose d’une plus grande latitude (cadences, y compris la transition entre les deux derniers mouvements) qui paraissent le plus «écrits», puisqu’elle s’inspire très largement de l’adaptation pour piano que le compositeur fit lui-même de la partie de violon. Cela ressort en particulier dans le premier mouvement, où au procédé très inattendu consistant à faire intervenir les timbales, qui avait déjà inspiré Alfred Schnittke dans sa propre cadence popularisée par Gidon Kremer, s’ajoute la participation du violon solo de l’orchestre, Deborah Nemtanu.
En revanche, les pages en principe plus «balisées» deviennent parfois méconnaissables. De fait, Kopatchinskaja, en retenant certaines «variantes […] toutes de la main de Beethoven» qu’autoriserait la partition, déroute nécessairement, tant l’oreille est solidement attachée à la version usuelle. Mais ces ornementations et différences somme toute mineures ne sont rien à côté de cette sorte de happening interprétatif qu’elle livre par ailleurs, exacerbant le moindre pianissimo jusqu’à l’inaudible et faisant fi non seulement de la lettre mais surtout de l’esprit du texte pour le déconstruire de façon aussi méthodique qu’incohérente. Compte tenu des moyens techniques qu’on lui connaît, et même si elle savonne beaucoup trop de traits, ce violon étriqué, cette sonorité acide, ces textures abrasives et cette intonation douteuse ne peuvent être que délibérés. Mais on peine vraiment à comprendre la finalité de ce dynamitage en bonne et due forme qui ne produit que l’effet d’un pétard mouillé: tout le monde n’est pas Duchamp et c’est aussi tout un art que de savoir mettre des moustaches à la Joconde. L’accompagnement se situe, si l’on ose dire, à la même hauteur: Norrington chantonne et marmonne, mais dès les cinq premières notes des timbales, jouées crescendo, il montre que lui aussi éprouve le besoin de réécrire le texte. Décousu et artificiel à force de soigner l’accessoire au détriment de l’essentiel, le premier mouvement se traîne en longueur, tandis que les deux derniers sont expédiés dans un tempo rapide, qui n’exclut toutefois pas de fréquents ralentissements.
Comme son camarade Fazil Say avec lequel elle se produit régulièrement, «PatKop» assure le spectacle à elle seule et fait partie de ces artistes qu’il vaut mieux écouter les yeux fermés, tant son comportement sur scène finit par agacer, s’agitant en tout sens pendant les tutti et roulant des yeux comme si elle était en transe. Au moins trouve-t-elle en bis, répondant à un accueil triomphal, un exutoire à ces pulsions physiques, dans le très bref Crin (1997) de Jorge Sánchez-Chiong (né en 1969), où les sonorités les plus variées de l’instrument, comme possédé par l’esprit de Cathy Berberian, se mêlent aux exclamations, onomatopées, phonèmes, grognements et gestes.
Cette pénible première partie dévolue à la scatologie infantile a cependant au moins un mérite, celui de faire encore mieux resplendir, après l’entracte, la Quatrième (1995) des six Cantates de Nicolas Bacri. Après Glazounov, Eisler et Chostakovitch, le «compositeur associé» à l’EOP a mis à son tour en musique le Sonnet LXVI de Shakespeare («Tyr’d with all these»), dans lequel il voit un «chef-d’œuvre de pessimisme écrit, semble-t-il, depuis le tréfonds d’un sentiment de déréliction». Mais ces dix minutes ne se résignent pas à la noirceur et à l’âpreté coutumières de sa musique, comme si elle était gagnée par «l’immense tendresse qui se dégage de la dernière phrase» (« Sauf qu’en mourant, je laisserais mon amour derrière moi»). Engorgée et difficilement audible, la contralto Elodie Méchain n’est hélas pas à son meilleur, mais cet in memoriam Gerald Finzi (1901-1956) réserve heureusement de magnifiques sections purement instrumentales, d’expression consolatrice et chaleureuse. Et, plutôt que la version pour orchestre à cordes, c’est ce soir celle faisant appel à un simple quintette de violoncelles, emmené par Guillaume Paoletti – choix opportun, comme une allusion à ces «consorts» de violes en usage du temps du poète élisabéthain.
Après l’Opus 61 de Beethoven, c’est celui de Schumann, à savoir sa Deuxième Symphonie (1846), qui conclut. Pas de miracle: avec vingt-neuf cordes et pas davantage de vibrato que dans Beethoven, Norrington évite peut-être la lourdeur, mais pas la pompe, et suggère des rapprochements avec une autre grande symphonie en ut que Schumann connaissait bien, la Neuvième de Schubert. Surtout, il s’enlise de nouveau dans les détails, débitant le phrasé en rondelles, surlignant les changements de climat et faisant fortement fluctuer le tempo. Aseptisée et fatiguée, manquant de cette flamme qui traduirait la lutte que décrit cette symphonie, celle menée par Schumann pour parvenir à exorciser temporairement ses démons, la direction mise sur l’étrange plus que sur la folie. Presque aussi cabotin que Sir Neville (Marriner) voici quelques mois, Sir Roger quitte la scène sur un salut militaire, main droite portée à la tempe.
Le site de Patricia Kopatchinskaja
Le site de Nicolas Bacri
Simon Corley
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