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Oratorio profane Paris Théâtre des Champs-Elysées 02/21/2011 - et 23 février 2011 Ludwig van Beethoven : Fidelio, opus 72
Melanie Diener (Leonore), Burkhard Fritz (Florestan), Matthias Goerne (Don Pizarro), Kurt Rydl (Rocco), Sophie Karthäuser (Marzelline), Werner Güra (Jaquino), Bálint Szabó (Don Fernando), Bertrand Dubois, Patrick Radelet (Prisonniers)
Chœur de Radio France, Frank Markowitsch (chef de chœur), Orchestre national de France, Kurt Masur (direction)
M. Diener (© Johannes Ifkovits)
Deux siècles après sa création, Fidelio (1805/1814) n’a pas pris une ride: tant qu’il y aura des hommes, l’unique opéra de Beethoven, protestation contre toutes les tyrannies et exaltation de la liberté, demeurera toujours d’actualité. A l’automne 1989 au Châtelet, au moment où la révolution se propageait dans ce qu’on appelait encore les «pays de l’Est», la mise en scène de Giorgio Strehler et la direction musicale de Lorin Maazel n’avaient pas paru à la hauteur de ces circonstances historiques. Et voilà qu’il revient à l’affiche en ce début 2011 où c’est le Sud qui secoue le joug des dictatures: l’Orchestre national de France, qui était alors dans la fosse, n’avait pas donné l’œuvre depuis, alors même qu’il a beaucoup travaillé Beethoven avec son précédent directeur musical, Kurt Masur: en novembre 2002, tout juste entré en fonctions, il avait programmé une intégrale des Symphonies et, en juin et juillet 2008, juste avant l’arrivée de Daniele Gatti, il avait offert un vaste cycle incluant la totalité des symphonies et concertos ainsi que des ouvertures et pages moins courantes.
Devenu «directeur musical honoraire à vie», le chef allemand a poursuivi ce parcours beethovénien, par exemple avec la rare musique de scène pour Egmont en septembre 2009, et dirige cette fois-ci Fidelio à deux reprises, dont la première a attiré avenue Montaigne la foule des grands jours et bon nombre de personnalités, à commencer par le précédent directeur général du Théâtre des Champs-Elysées, Dominique Meyer, désormais intendant de l’Opéra d’Etat de Vienne. Masur, toujours aussi populaire tant parmi le public que parmi les musiciens, chérit visiblement cette partition, devant laquelle, ayant épuisé depuis longtemps les plaisirs du cabotinage, il s’efface bien volontiers, au point de la brandir en fin de soirée pour la faire acclamer par la salle. Et l’on comprend aisément qu’elle revête une signification toute particulière pour l’ancien patron du Gewandhaus, dont l’action décisive à Leipzig lors des manifestations qui entraînèrent la chute du régime est-allemand est restée dans toutes les mémoires.
C’est d’une version de concert qu’il s’agit ici, surtitrée mais sans les dialogues parlés ni même le Mélodrame du second acte: sans pour autant remédier à certaines faiblesses du livret voire de la composition, voilà donc une sorte d’oratorio profane. Du coup, c’est peut-être pour cela que durant cette heure trois quarts de musique où l’on aura vainement attendu le souffle de l’Histoire, on ne reconnaît pas l’homme de théâtre qu’il fut pourtant, notamment au début des années 1960 lorsqu’il collabora aux spectacles de Walter Felsenstein en tant que directeur musical du Komische Oper de Berlin. On n’attendait certes pas qu’il fasse pétiller comme du champagne rossinien les premiers numéros, qui s’inscrivent dans la tradition plus légère du Singspiel, mais le début n’en paraît pas moins bien morose, avec un National en forme très moyenne, à l’image d’une Ouverture laborieuse et rêche, qui ne trouve d’élan, à défaut de rondeur, que dans son Presto conclusif. La Marche du premier acte et le début du Finale du second défilent en revanche à très vive allure: s’il est vrai que le tempo est indiqué respectivement Vivace et Allegro vivace, le phrasé paraît bien raide. Toutefois, Masur sait aussi susciter une profonde émotion quand l’écriture se fait plus expressive – quatuor «Mir ist so wunderbar», récitatif et air de Léonore au premier acte, Introduction et duo «O namenlose Freude!» au second. Et il s’attache en outre – parfois au prix d’un manque de punch, comme dans le Quatuor du second acte (et malgré un cri par lequel il semble libérer toute son énergie) – à modérer constamment la puissance de l’orchestre afin d’assurer l’équilibre avec le Chœur de Radio France, bien préparé par Frank Markowitsch, et de faciliter la tâche des chanteurs.
Attention bienvenue, car ceux-ci sont inconfortablement placés derrière la cinquantaine de cordes, au pied de l’estrade où les vents – dont on se demande comment le premier rang parvient à voir le chef quand les solistes se lèvent – sont disposés en deux groupes bien séparés, bois côté jardin, cuivres et timbales côté cour. De fait, les trois rôles secondaires ont un peu de mal à passer la rampe: dommage pour la Marcelline à la fois fraîche et veloutée de Sophie Karthäuser et pour le Jaquino parfaitement stylé de Werner Güra, tandis que Bálint Szabó ne démérite pas en Don Fernando. Seul à chanter par cœur, Kurt Rydl ne rencontre pas ces problèmes de projection, mais pour le reste, sa voix n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut, et les excès théâtraux de son Rocco sonnent de manière trop décalée par rapport au reste de la distribution. En Florestan, Burkhard Fritz, avec un registre aigu qui tend à détimbrer, manque d’assurance et ne trouve que progressivement ses marques; il ne faut cependant pas perdre de vue qu’il remplace quasiment au pied levé Jorma Silvasti, empêché pour raisons familiales. Enfin, Paris retrouve à cette occasion deux des protagonistes qui ont triomphé l’automne dernier à Bastille dans Mathis le peintre. Mais autant Matthias Goerne ne convainc pas, comme mal à l’aise avec la tessiture du rôle, campant un Pizarro plus sombre et tourmenté qu’inquiétant, autant Melanie Diener s’impose dans une belle incarnation de Léonore, déjouant, au besoin en force, presque toutes les embûches de sa partie.
Le site de Melanie Diener
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Le site de Sophie Karthäuser
Le site de Frank Markowitsch
Simon Corley
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