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Une chanteuse sans filet Paris Théâtre des Champs-Elysées 02/07/2011 - et 2 (London), 11 (Warszawa), 13 (Brno), 14 (Wien), 16 (Praha), 19 (Zagreb) février 2011 “Lettere amorose”
Filippo Vitali : O bei lumi
Sigismondo d’India : Cruda Amarilli – Torna il sereno Zefiro – Ma che? Squallido e oscuro»
Giulio Caccini : Odi Euterpe
Luis de Briçeno : Caravanda Ciacona
Tarquino Merula : Canzonetta spirituale sopra alla nanna – Folle è ben si crede
Gaspar Sanz : Canarios
Biaggio Marini : Con le stele in ciel
Giovanni Paolo Foscarini : Passamezzo – Ciaccona
Claudio Monteverdi : Si dolce è i tormento – Quel sguardo sdegnosetto
Giovanni de Macque : Capriccio stravagante
Girolamo Kapsberger : Aurilla mia – Felici gl’animi
Barbara Strozzi : L’Eraclito amoroso
Ruiz de Ribayaz : Espanioletta
Magdalena Kozená (mezzo-soprano)
Private Musicke, Pierre Pitzl (guitare et direction)
M. Kozená (© Mathias Bothor/DG)
Sur le papier, on n’aurait peut-être pas parié le moindre centime d’euro quant à la réussite d’un tel concert... Hormis deux ou trois noms, les compositeurs à l’honneur ce soir sont pour la plupart peu (voire pas du tout) connus. Les instrumentistes à l’affiche bénéficient également d’une renommée confidentielle, non pas en raison d’un niveau musical qui justifierait qu’on les ignorât (on le verra, voilà huit instrumentistes de qualité tout à fait exceptionnelle!) mais en raison du répertoire dans lequel ils officient habituellement, là aussi a priori réservé à quelques amateurs. Et pourtant, c’est un public extrêmement nombreux qui emplit ce soir le Théâtre des Champs-Elysées au point d’occuper y compris l’ensemble du second balcon! Il faut dire que la présence de Magdalena Kozená, trop rare à Paris, peut suffire à attirer les mélomanes, heureux de pouvoir entendre une chanteuse aux talents multiples qui passe avec aisance du rôle de Marguerite à celui de Mélisande, sans oublier quelques détours par le baroque allemand ou italien. Et tout cela, pour quel résultat? Pour un concert véritablement enchanteur, salué par une ovation triomphale et conclu par trois bis qui, car il faut bien terminer un jour, auraient pu se poursuivre jusqu’au bout de la nuit.
Le début de ce concert, qui permettait de promouvoir le dernier disque de la chanteuse en en reprenant le contenu (disque publié chez Deutsche Grammophon), suscita d’emblée la surprise. Dans le silence de la salle, un guitariste entra en jouant de son instrument, suivi par un violone, puis par Magdalena Kozená, pieds nus, en robe rouge légère, et, enfin, par les six autres instrumentistes: la première pièce, O bei lumi de Filippo Vitali (1590-1653), plongea d’emblée le public dans une atmosphère irréelle où la harpe, merveilleusement tenue par Margret Köll, prend un rôle prépondérant. S’enchaînent immédiatement deux autres morceaux, Cruda Amarilli et Odi Euterpe, respectivement composés par Sigismondo d’India (1582-1629), auteur de magnifiques madrigaux (citons par exemple Sospir che del bel petto et Deh, chi mi fa languire) et Giulio Caccini (1551-1618), luthiste, musicien florentin longtemps au service des Médicis. Magdalena Kozená séduit, par sa voix autant que par sa présence physique, un public attentif comme rarement qui se laisse bercer par des airs dont on ne peut que regretter qu’ils n’aient été ni traduits dans le programme, ni surtitrés dans le Théâtre: nul doute qu’on y aura beaucoup perdu.
La jeune chanteuse slovaque s’illustre ensuite en retenant ses émotions dans la première œuvre de Tarquino Merula (1594-1665), en distillant un très grand lyrisme dans la deuxième pièce de ce compositeur (ne se laissant d’ailleurs pas troubler par le bruit d’une corde du théorbe qui, soudainement, se cassa) ou en avançant sa voix de manière conquérante (l’air Aurilla mia de Girolamo Kapsberger, compositeur italien dont on ignore presque tout). La prestation s’avère d’autant plus héroïque que l’accompagnement musical est réduit à son plus strict nécessaire, la voix ne cherchant par ailleurs aucune vocalise inutile (seul l’air de Claudio Monteverdi Quel sguardo sdegnosetto tend vers la démonstration technique): on entend seulement une voix brute, réduite à sa plus simple expression, le moindre son prenant alors une ampleur et distillant une émotion à nulle autre pareille. De manière générale, on ne peut que saluer l’alliance parfaite entre la voix de Magdalena Kozená et les instrumentistes de l’ensemble Private Musicke. La légèreté vocale trouvait ainsi un parfait écho à la délicatesse du toucher des deux guitaristes (le virtuose Pierre Pitzl et le très solide Hugh Sandilands), à l’enthousiasme du percussionniste Gabriele Miracle (tirant de son tambourin, tantôt du bout des doigts, tantôt avec la paume, une variété de sons et d’atmosphères tout à fait incroyable), à la participation active de leurs comparses. Sorte d’intermèdes entre les interventions de la chanteuse, les spectateurs du Théâtre des Champs-Elysées purent apprécier quelques pièces strictement instrumentales (Magdalena Kozená en profitant pour s’asseoir derrière les musiciens et se désaltérer un peu) où Pierre Pitzl s’illustre à de multiples reprises.
Pour finir, mentionnons le superbe air L’Eraclito amoroso de Barbara Strozzi (1619-1664). Lancé par une douce pulsation du violone, il permet à Magdalena Kozená de délivrer un chant apaisé, totalement serein, allant de pair avec les battements du cœur de chaque spectateur: peut-être était-ce là le secret d’un indéniable bien-être qui, au terme d’une soirée véritablement superlative, nous enveloppa encore bien longtemps après avoir quitté l’avenue Montaigne?
Le site de Magdalena Kozená
Le site de l’ensemble Private Musicke
Sébastien Gauthier
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