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Sous le signe de la danse

Paris
Salle Pleyel
01/30/2011 -  et 6, 7, 8, 9 (Los Angeles), 21 (Lisbonne), 25 (Köln), 27 (London) janvier, 2 (Budapest), 5 (Wien) février 2011
John Adams : Slonimsky’s Earbox
Leonard Bernstein : Symphonie n° 1 «Jeremiah»
Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 7, opus 92

Kelley O’Connor (mezzo)
Los Angeles Philharmonic, Gustavo Dudamel (direction)


G. Dudamel (© Luis Cobelo)


Ce n’est plus de l’amour, mais de la folie: la dudamelmania a encore frappé Paris. Les symptômes du mal sont bien connus: âmes en peine errant vainement faubourg Saint-Honoré à la recherche d’un billet, spectateurs assis sur les marches de l’arrière-scène pour la seconde partie afin de profiter de la vision du chef de face que seule Pleyel peut offrir dans la capitale, ovation finale – debout, bien sûr – d’une rare spontanéité, appareils photos alignés au bas du parterre pour mitrailler la vedette comme à l’issue d’un spectacle rock. Mais le malade a-t-il envie de guérir? Certainement pas, car Gustavo Dudamel, qui a fêté ses trente ans quatre jours plus tôt, possède non seulement un formidable enthousiasme juvénile et le don charismatique de faire de chaque concert une fête, mais aussi une étonnante modestie, peut-être héritée de ses années d’apprentissage à la tête de l’Orchestre Simón Bolívar, qui le conduit à ne jamais oublier de mettre en valeur ses musiciens, en retrait desquels il se tient systématiquement au moment des rappels, sans jamais saluer depuis le podium, d’ailleurs dépourvu, une fois n’est pas coutume, de la barre sur laquelle les chefs s’appuient généralement pour ce faire.


En ce dimanche soir, il remplit donc sans peine la salle: peu d’autres auraient pu y parvenir avec un tel programme, mais y contribue certainement aussi le fait qu’après de nombreuses apparitions parisiennes, notamment avec le Philharmonique de Radio France, il vient cette fois-ci avec l’Orchestre philharmonique de Los Angeles, dont il est le directeur musical depuis l’automne 2009. C’est avec son prédécesseur Esa-Pekka Salonen – bientôt à l’honneur en tant que compositeur au festival «Présences» – que la phalange californienne avait triomphé lors de sa précédente visite en France en novembre 2007, consacrée à l’intégrale des Symphonies de Sibelius (voir ici, ici, ici et ici).


A l’exception de Madrid, toutes les étapes de l’actuelle tournée européenne, du 21 janvier au 5 février, pourront entendre les deux programmes que le jeune Vénézuélien et son orchestre ont préparés: avant un assez prévisible hommage à Mahler, le premier concert témoigne d’un plus grand souci d’originalité, même s’il n’est pas illogique qu’une formation ait à cœur de promouvoir la musique de son pays à l’extérieur de ses frontières – c’est bien souvent Berlioz, Debussy, Ravel, Messiaen et Dutilleux que le National et l’Orchestre de Paris emmènent dans leurs valises.


En tout cas, les Américains continuent de surprendre par leurs habitudes, différentes de celles du Vieux Continent: musiciens installés sur scène une demi-heure avant le début de la représentation puis durant la pause afin de répéter individuellement leurs traits, parrainage des first chairs qui portent le nom de riches mécènes, régisseur en frac et nœud papillon. Tout cela respire la mécanique impeccablement huilée et l’allure confiante d’une limousine, mais traduit surtout une discipline, un professionnalisme et une classe qui ne se démentent jamais. Et tout cela n’est pas nouveau: Bartók aurait-il écrit son Concerto pour orchestre s’il n’avait dû s’exiler outre-Atlantique?


D’une certaine façon, la musique de John Adams est elle aussi emblématique de ce «Nouveau Monde», du moins le petit quart d’heure de Slonimsky’s Earbox (1995), on ne peut plus «américain» par sa manière d’évoquer les grands espaces, son assurance, son absence de complexes et, bien évidemment aussi, son côté spectaculaire. Toujours inspiré pour ce qui est du choix de ses titres, le compositeur associe ici à l’hommage au compositeur et musicologue Nicolas Slonimsky (1894-1995) un néologisme («boîte à oreille»). Quant à la partition, scintillante, décorative et même éclatante avec ses quatre trompettes, elle n’atteint pas forcément ses plus grandes réussites, notamment l’ampleur de Harmonielehre et le délire de la Chamber Symphony. Mais peu importe, à vrai dire, car c’est l’occasion pour le L.A. Phil de mettre en valeur sa splendeur et sa virtuosité, et pour son chef de déployer tout son sens du swing.


Et pour ce qui est de swinguer, comment ne pas penser à son irrésistible et immortel Mambo extrait de West Side Story? C’est cependant une page plus ancienne et plus sombre de Bernstein qu’il dirige, la Première Symphonie «Jérémie» (1942), mais même dans ses compositions «sérieuses», la dimension rythmique demeure essentielle, en l’occurrence dans le mouvement central («Profanation»). Dudamel en restitue le mordant et la vivacité à défaut de l’âpreté ou de la rugosité, mais nul doute que le compositeur aurait été séduit par ces grognements d’encouragement à l’orchestre, cette intensité mahlérienne, ces superbes cordes chauffées à blanc dès les premiers accords de la «Prophétie», cette petite harmonie d’exception, ces cuivres magnifiques de timbre et de précision. Entre deux crises de toux venues des rangs du public, la mezzo américaine Kelley O’Connor, malgré une voix parfois engorgée et bien que placée entre cordes et bois, impose un hiératisme impressionnant dans la «Lamentation» finale.


Pour son entrée au catalogue de Deutsche Grammophon avec son orchestre vénézuélien, Dudamel avait notamment enregistré la Septième Symphonie (1812) de Beethoven. Dans cette «apothéose de la danse», telle que la qualifiait Wagner, il avait ensuite laissé une impression si forte avec le Philharmonique de Radio France en octobre 2007 que c’est une certaine déception qui, cette fois-ci, se fait jour au fil de l’œuvre. Malgré un effectif tout à fait usuel (cinquante cordes, mais des cors doublés), l’orchestre, au sein duquel les premiers pupitres de vents ont été presque entièrement renouvelés à la faveur de l’entracte, se situe aux antipodes des équilibres et de la transparence obtenus par l’Orchestre de chambre d’Europe sous la baguette de Haitink quelques jours plus tôt dans cette même salle (voir ici et ici) et évoque même le Philharmonique de Berlin du temps de Karajan. Il est assurément comparaisons moins flatteuses, mais au-delà de ce plaisir des sens qui réserve des moments de technicolor grisant et d’extase hédoniste, tel le maggiore de l’Allegretto, au-delà de l’admiration devant un ensemble qui ne tangue jamais malgré la vivacité des tempi dans le Scherzo et, davantage encore, dans un Finale qui semble vouloir aller toujours plus vite, l’interprétation, qui fait l’économie de toutes les reprises, surprend certes par des intuitions fulgurantes mais principalement par une absence de vision, quand elle n’agace pas par son narcissisme, perceptible dès l’introduction lente et confirmé par une tendance à surligner le texte, qui culmine dans ce ralentissement systématique à la fin de chaque phrase de la section centrale du Scherzo.


On ne peut toutefois que rendre les armes face aux deux bis venant conclure, de nouveau sous le signe de la danse, cette courte soirée. Dudamel enflamme d’abord la Première des Danses hongroises (1869) de Brahms – tellement bondissante et pétillante qu’un spectateur croit pouvoir souffler à sa voisine que «c’est du Strauss» – puis annonce la Valse extraite du Divertimento (1980) de Bernstein: un hommage à Tchaïkovski pour cordes seules mais, avant tout, une conclusion qui ne laisse que peu de doutes quant à la filiation entre le chef et son légendaire aîné.



Le site de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles
Le site de Gustavo Dudamel
Le site de Kelley O’Connor



Simon Corley

 

 

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