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Surnaturel

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
01/29/2011 -  et 31 janvier (Arnhem), 2 (Wels), 8 (Nancy), 11 (Lyon), 14 (Zaragoza) février 2011
Franz Schubert : Moments musicaux n° 1, n° 2 et n° 5, D. 780 – Sonate n° 13, D. 625 et 505
Robert Schumann : Humoreske, opus 20 – Faschingsschwank aus Wien, opus 26

Arcadi Volodos (piano)


A. Volodos (© Marco Borggreve)


Fidèle au Théâtre des Champs-Elysées depuis près de dix ans, Arcadi Volodos aurait dû faire salle comble, qui plus est un samedi soir. Mais s’il faut en juger par le temps que des personnalités de la trempe de Brendel ou Ciccolini ont mis pour s’imposer au public parisien, il lui faudra donc encore patienter, à bientôt trente-neuf ans, pour obtenir la reconnaissance qui lui est due. La ferveur, à défaut parfois de la concentration, de ceux qui sont venus compense toutefois largement ces quelques places restées libres: elle est à la mesure d’un récital exceptionnel, au sens fort du terme, et, pour tout dire, surnaturel. Car pour celui qui entend pour la première fois le pianiste russe en concert, ce n’est pas la déception que crée parfois l’avalanche bien intentionnée de superlatifs et de comparaisons – ici, c’est le nom de Sokolov qui revient le plus souvent – dont un artiste est entouré par les commentaires et recommandations des uns et des autres et qui finit par produire l’inverse de l’effet escompté. Bien au contraire, les mots manquent ou paraissent dérisoires lorsqu’il s’agit de s’efforcer de décrire la prestation de ce véritable extraterrestre du clavier.


Un pianiste qui préfère une chaise à un tabouret suscite d’emblée un préjugé favorable: il suffit de penser à Gould ou à Lupu. Et si ce dernier est un immense schubertien, Volodos n’est pas en reste. Il le démontre dans trois des six Moments musicaux (1824), en installant dès les premières notes une atmosphère intimiste pour délivrer la quintessence de cette musique. On a beau regarder les mains et, surtout, les pieds, il semble décidément impossible de comprendre comment il obtient un son aussi immatériel, tout aussi riche que feutré. Après les deux premiers, épurés et étouffés, comme venus de très loin, le Cinquième réclame certes plus de vigueur, mais le jeu demeure exempt de toute dureté. Il enchaîne attaca sur la rare Treizième Sonate (1816/1818), également en fa mineur, dont il donne les quatre mouvements sans interruption, comme pour former une vaste fantaisie d’un seul tenant. Le propos est étonnant – avec ces trilles dans le grave qui annoncent déjà l’ultime Sonate en si bémol – mais il captive encore plus sous ses doigts. On ne savait pas en effet qu’il était possible de tirer de telles merveilles d’un Steinway: une délicatesse littéralement inouïe, confinant à la fragilité, un radicalisme du toucher au service d’une vérité aiguë de l’interprétation, qui n’a pas besoin d’instrument d’époque ou de considérations musicologiques pour frapper l’auditeur par son authenticité, et d’une simplicité inversement proportionnelle à l’art et à la maîtrise qu’elle requiert. «Nouvel Horowitz»? Régulièrement employée à son propos, la formule est néanmoins à double tranchant, tant son mythique aîné a parfois flirté avec le mauvais goût, mais ils partagent une précision diabolique et une agilité stupéfiante qui leur permettent de survoler le clavier, ainsi que l’illustre un Finale tumultueux à souhait, comme prémonitoire de celui de la Deuxième Sonate de Chopin.


L’année Schumann est finie, mais on se réjouit qu’elle se prolonge grâce à Volodos, d’autant qu’il a choisi deux grandes œuvres quelque peu négligées de l’année 1839, toutes deux en si bémol. Après une entrée en matière miraculeuse, la versatilité de l’Humoresque – l’exaltation du rêve et l’humour qu’y voyait le compositeur – lui va comme un gant, tout en laissant admirer la clarté avec laquelle il étage les plans sonores (Intermezzo de la troisième section). Quant à l’évaporation des dernières mesures de l’Adagio précédant immédiatement la coda, elle laisse à tout le moins songeur. Plus exubérant et terrien, Carnaval de Vienne ne maintient peut-être pas toujours le niveau atteint jusqu’alors – mais c’est simplement pour passer de la mésosphère à la stratosphère, tant ces effusions pudiques, cette manière d’aller sans cesse de l’avant, ce phrasé parfait, comme d’un seul élan, dans l’Intermezzo, ou ce tempo délirant dans le Finale sont véritablement sidérants.


Pas moins de quatre bis pour conclure, d’abord le Premier des quatre Préludes de l’Opus 37 (1903) de Scriabine, puis ceux qu’il a offerts à l’Orchestre de Paris au début du mois salle Pleyel, «Jeunes filles au jardin», dernière des trois Scènes d’enfants (1918) de Mompou, «Zambra granadina», dernière des quatre pièces de la Seconde Suite espagnole (1888) d’Albéniz, et le Largo du Concerto (pour orgue) en ré mineur de Bach d’après le Concerto opus 3 n° 11 (1711) de Vivaldi, tour à tour idéal, en apesanteur, tout à fait chic et merveilleusement chanté. Seul le dernier rappel, devenu ovation debout alors que les lumières ont été rallumées, parvient enfin à arracher à Volodos un modeste sourire.


Le site d’Arcadi Volodos



Simon Corley

 

 

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