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Un Couvent modèle

Paris
Opéra Comique
01/28/2011 -  et (Toulouse), 30 janvier, 1er, 3 février 2011
Serge Prokofiev : Les Fiançailles au couvent, opus 86
Brian Galliford (Don Jérôme), Garry Magee (Ferdinand), Anastasia Kalagina (Louisa), Larissa Diadkova (La Duègne), Daniil Shtoda (Antonio), Anna Kiknadze (Clara d’Almanza), Mikhail Kolelishvili (Mendoza), Yuri Vorobiev (Don Carlos), Eduard Tsanga (Père Augustin), Vasily Efimov (Frère Elustaphe, 1er masque), Marek Kalbus (Frère Chartreuse, 2e masque), Mischa Schelomianski (Frère Bénédictine, 3e masque), Eleonora Vindau (Lauretta), Catherine Alcoverro (Rosina), Alfredo Poesina (Lopez), Pascal Gardeil (Miguel)
Orchestre national et chœur du Capitole de Toulouse, Tugan Sokhiev (direction)
Martin Duncan (mise en scène)


(© Patrice Nin/Ville de Toulouse)


De quoi s’agit-il, dans ces Fiançailles ? De s’assurer du monopole de la pêche dans le Guadalquivir pour Don Jérôme et Mendoza, le premier donnant sa fille au second. Elle en aime évidemment un autre, qu’elle épouse après de multiples péripéties, enlèvements et échanges d’identité… dans un couvent : les moines, pris de vin, n’y regardent pas de trop près quand on les achète. Don Jérôme consent d’assez bonne grâce : son gendre est pauvre, mais son fils, qui s’est aussi marié au couvent, a épousé une riche héritière. Et Mendoza, marchand de poisson pourri, se retrouve marié à la Duègne. En mettant en musique cette adaptation de La Duègne de Sheridan, Prokofiev n’avait rien à craindre du régime : son malheureux Sémion Kotko venait de lui donner des gages et les cupides corrompus – vieux capitalistes ou moines soulards – en prenaient pour leur grade. Créé au Kirov en 1946 par l’inoubliable Khaïkine, l’opéra bouffe triompha, avant de disparaître, taxé de formalisme, injustice réparée en 1959 par des représentations au Théâtre Stanislavski – le Bolchoï, lui, attendit les années 1980 pour le mettre à l’affiche. Un des chefs-d’œuvre du compositeur, en rien inférieur à L’Amour des trois oranges, plus varié même, car il réserve au lyrisme une place de choix et l’expression du sentiment amoureux y côtoie la satire en musique. Pour Chostakovitch, Les Fiançailles sont à Prokofiev ce que Falstaff est à Verdi.


Après des Mamelles mal cousues, voici des Fiançailles rondement menées et l’on se réjouit de voir à Paris cette production du Capitole de Toulouse, créée là-bas deux semaines auparavant, qui fait jeu égal avec celle du Grand Théâtre de Genève, confiée en 1998 au tandem Caurier-Leiser. Tugan Sokhiev a décidément changé la sonorité de son orchestre, l’adaptant à un répertoire différent de celui de Michel Plasson… le créateur français de l’œuvre, en 1973, à Strasbourg. Les couleurs sont moins fondues, plus crues, à l’image de celles de Prokofiev, dont l’ironie ressort en pointes fines : le chef ossète ne se laisse pas déborder, conscient des contraintes de l’acoustique d’une petite salle dont beaucoup ont fait les frais. Et le mystère, la tendresse ont leur part, surtout au troisième acte – superbe quatuor. Martin Duncan mêle heureusement la commedia dell’arte et la comédie psychologique, la revue et l’opéra, faisant jouer les chanteurs comme de vrais comédiens, leur imposant souvent un jeu quasi chorégraphique – la chorégraphie de Ben Wright, justement, est un élément constitutif du spectacle, pleine elle aussi d’humour pétillant. Si l’on voit les machinistes s’affairer, ils ne parasitent jamais l’histoire, à la différence de ceux du Jules César détourné par Laurent Pelly. En concevant un décor unique, avec portes et chaises accrochées aux structures métalliques, dans l’esprit du suprématisme – Malevitch n’est pas loin – et du constructivisme russes, en dessinant des costumes des années 1920, Alison Chitty remonte judicieusement dans le temps, à l’époque du Prokofiev de L’Amour des trois oranges ou de Chout – ballet dont les décors avaient été confiés à Larionov.


Pour réussir Les Fiançailles, comme pour réussir L’Amour des trois oranges, il faut surtout un plateau homogène, un ensemble plus qu’une addition de voix : on pouvait compter sur Larissa Gergieva pour veiller au grain, jusqu’aux moines – en l’occurrence parfaits. Peu importe que l’on perçoive ici ou là quelques faiblesses, par exemple du côté de l’Antonio joliment chantant mais très limité et parfois peu audible de Daniil Shtoda. Brian Galliford n’a pas non plus besoin d’avoir la plus belle voix du monde pour camper un impayable Don Jérôme. Le soprano d’Anastasia Kalagina, pour modeste qu’il soit, a un timbre frais et liquide, des aigus de rêve, une ligne impeccable, heureusement différenciée du mezzo plus charnu de la belle Clara d’Anna Kiknadze, promise au Ferdinand de Garry Magee, baryton au timbre chaud mais au chant trop prosaïque. La distribution reste en tout cas dominée par Mikhail Kolelishvili et Larissa Diadkova : le premier rappelle les plus belles voix de basses russes, par la richesse du timbre et des graves, Mendoza aussi drôle que stylé, marié malgré lui à l’irrésistible Duègne coquine de la seconde, ni moins drôle ni moins stylée.


On aimerait que les scènes françaises ouvrent un peu plus souvent la porte du Couvent.



Didier van Moere

 

 

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