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Poèmes pour qui ? Strasbourg Palais de la Musique et des Congrès 12/02/2010 - et 3* décembre 2010 Richard Wagner : Tannhäuser, ouverture (version de Dresde)
Olivier Messiaen : Poèmes pour Mi
Johannes Brahms : Symphonie n° 4, opus 98
Heidi Brunner (soprano)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Bertrand de Billy (direction) B. de Billy (© Marco Borggreve)
Bertrand de Billy fait partie de cette riche génération de chefs français qui ont fait leurs classes hors de notre pays et sont restés expatriés ensuite, par goût, par commodité, par confort… Au cours de cette carrière étrangère Bertrand de Billy a acquis certaines routines de travail, à la tête d’orchestres auxquels il n’est pas nécéssairement utile d’apprendre beaucoup de choses. Des habitudes qui transparaissent dans sa gestique, large, anticipant beaucoup par moments, avec pour corollaire un certain nombre d’attentes par rapport à la phalange dirigée, supposée bien rôdée, autonome, en un mot professionnelle.
Dans l’Ouverture de Tannhäuser, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg relève le défi avec classe, pouvant compter ce soir-là sur une excellente formation de vents, véritable épine dorsale d’une interprétation qui avance majestueusement. A l’écoute de ce déploiement luxueux on ne peut s’empêcher de repenser à une répétition du même passage par Georg Solti à la tête de l’Orchestre Radio-Symphonique de Stuttgart, documentée sur un précieux DVD Arthaus. Le maestro avait tant de marottes de phrasé à imposer qu’il truffait ce début d’ouverture d’une véritable forêt de poteaux indicateurs d’instructions à respecter. Le résultat avait la majesté d’un rouleau compresseur en marche mais falait-il vraiment travailler avec autant de minutie préalable pour l’obtenir ?Assurément ce soir le sujet a été davantage survolé mais l’interprétation, très belle, ne s’en ressent pas. A l’exception de la qualité d’ensemble des cordes aiguës, seul territoire qui reste en friche, en particulier lors d'une laborieuse réexposition du thème des pélerins (on joue ici la version originale de Dresde). Mais il est vrai que l’Orchestre de Strasbourg est à nouveau privé de premier violon super-soliste cette année et la loi du chacun pour soi semble revenir en force. Ceci plombe aussi de nombreux passages de la Quatrième Symphonie de Brahms, qui ne parvient que rarement à reposer sur une assise de violons suffisamment propre, en particulier dans les deux premiers mouvements. Ensuite, la fermeté rythmique du Scherzo et l’inexorabilité du mouvement final conviennent mieux à l’orchestre, qui tire en définitive honorablement son épingle du jeu dans un répertoire symphonique brahmsien qui ne lui a jamais idéalement convenu (voire où il avait pris l’habitude de sombrer, en particulier pendant le mandat controversé de Jan Latham-Koenig).
L’essentiel du travail de préparation de la soirée a été concentré sur les Poèmes pour Mi, cycle relativement long mais dont la mise au point ne semble cependant pas poser de problème majeur. Très française de facture sur le plan orchestral, enracinée dans l’héritage de Debussy et Roussel, l’écriture de Messiaen doit poser probablement beaucoup plus de problèmes à la voix, traitée comme un instrument auquel n’est pas fait grande concession et qui doit de surcroît affronter des textures instrumentales opaques. Heidi Brunner réussit ce parcours d’une intensité wagnérienne avec beaucoup de mérites, parvenant à ne pas paraître trop fatiguée à l’issu de ce cycle continuellement tendu et probablement épuisant. Même la mise en valeur des textes poétiques de Messiaen, anecdotiques mais qui n’ont rien de calamiteux, est bien assurée. Reste que cette écriture orchestrale et vocale du jeune Messiaen sonne aujourd’hui très exotique. Elle paraît accessible voire facile aux initiés et pourtant passe complètement au-dessus de la tête du public habituel d’abonnés, qui écoute ce pandémonium suave en paraissant découvrir la musique d’une civilisation étrangère et lointaine qui le laisse dubitatif. Un curieux résultat, à la fois amusant (l’œuvre n’est effectivement pas essentielle) et inquiétant quant à la consolidation possible de notre grand répertoire du siècle dernier.
Laurent Barthel
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