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La sage folie de Sagi

Paris
Théâtre du Châtelet
01/22/2011 -  et 24*, 26, 28, 30 janvier 2011
Gioacchino Rossini : Il barbiere di Siviglia

Bogdan Mihai (Il comte d’Almaviva), Bruno Taddia (Figaro), Anna Stephany (Rosina), Tiziano Bracci (Bartolo), Nicolas Courjal (Don Basilio), Giovanna Donadini (Berta), Christian Helmer (Fiorello), Jean-Philippe Catusse (Un ufficiale), Félix Calvarro Dominguez (Ambrogio), Jorge Crudo (Un notaio)
Felice Venanzoni (assistant du chef d’orchestre, chef de chant, pianoforte), Chœur du Châtelet, Gildas Pungier (chef de chœur), Ensemble Matheus, Jean-Christophe Spinosi (direction musicale)
Emilio Sagi (mise en scène), Nuria Castejón (collaboration à la mise en scène, chorégraphie), Llorenç Corbella (décors), Renata Schussheim (costumes), Eduardo Bravo (lumières)


(© Marie-Noëlle Robert)


Coproduit par le Teatro Real, où il a été créé en janvier 2005, et le Teatro nacional São Carlos (Lisbonne), ce Barbier de Séville (1816) poursuit une belle carrière: largement diffusé grâce à l’enregistrement réalisé dès les représentations madrilènes (Decca), il s’est notamment exporté à Los Angeles fin 2009 et vient maintenant au Châtelet pour quatre soirées et une matinée.


Il est vrai qu’il est suffisamment passe-partout pour ne mécontenter personne. Si Coline Serreau, dans la production reprise plusieurs fois depuis 2002 à Bastille, transporte l’action à Kaboul (voir ici), Emilio Sagi s’en tient plus modestement à la Séville du XVIIIe. Séville, sans aucun doute, avec ces grands murs, hautes façades et larges portails du premier tableau qui se révèlent comme autant d’éléments pouvant aisément être déplacés par les figurants pour former les deux autres décors, à l’intérieur de la maison de Bartolo, dont les murs clairs diffusent les lumières chaudes et apaisantes réglées par Eduardo Bravo; Séville, encore, avec ses Gitans pittoresques – domestiques, musiciens mais aussi danseurs de flamenco, dans des chorégraphies de Nuria Castejón (par ailleurs créditée comme «collaboratrice à la mise en scène»). La référence au XVIIIe est en revanche plus discrète: il y a certes les chaises à porteurs, mais certains des costumes de Renata Schussheim suggèrent davantage le début du XIXe, voire la Belle Epoque, à commencer par ceux de Figaro, évoquant moins la classe laborieuse que la bourgeoisie aisée, façon Aschenbach à Venise.


Dans l’excellent programme de salle, le metteur en scène espagnol définit sa vision de ce melodramma buffo: une «comédie vitale avant tout» et, reprenant à son compte la formule d’Alberto Zedda, une atmosphère de «folie organisée». Plus que recevable sur le papier, cette conception peine cependant ici à trouver sa traduction concrète: quelques traits d’humour, une direction d’acteur plutôt calme, la comédie au lieu de la farce, mais pour l’extravagance, le public doit se contenter de la nappe qui enfle jusqu’à engloutir les personnages au fil de l’«air de la calomnie», des cocottes en papier confectionnées durant le Finale du premier acte ou de la prolifération de certains éléments (portraits de Rossini sur les murs, pois sur les robes de Rosine et les gilets de Figaro). Une bien sage folie, en somme.


Et il faut attendre la scène finale, abandonnant le noir et blanc des costumes pour des teintes éclatantes (rose bonbon pour le jeune couple), pour retrouver le kitsch coloré de quelques-uns des précédents spectacles montés par Sagi au Châtelet ces dernières années, comme Le Chanteur de Mexico ou Les Fées. On ne s’ennuie sans doute pas, car de même qu’avec la troupe de Jérôme Deschamps, il se passe toujours quelque chose sur scène, voire au parterre, où se tient le guitariste qui accompagne le comte dans sa canzone au premier acte, mais il est quand même des Barbier plus trépidants.


Pour ce qui est de la trépidation, la direction musicale y pourvoit abondamment, comme on pouvait s’y attendre, puisque c’est à Jean-Christophe Spinosi qu’elle est confiée. L’Ouverture et le début du premier acte inquiètent: l’Ensemble Matheus semble englouti dans la fosse, malgré un effectif qui n’est pourtant pas si chétif que cela (trente-quatre cordes), les cors déraillent, des décalages se font entendre et le chef français, une fois de plus, a tendance à combiner sécheresse et précipitation. Mais les choses trouvent ensuite un équilibre plus satisfaisant, avec des ensembles vivants et bien menés, un soin presque maniaque porté aux effets spéciaux (sul ponticello), un Orage où chacun s’en donne à cœur joie et la contribution précieuse du pianoforte de Felice Venanzoni, inventif et même piquant à l’occasion, par exemple lorsqu’il cite La Vie en rose.


En raison de la notoriété de Manuel García, créateur du rôle du comte, c’est sous le titre Almaviva ou la précaution inutile que le Teatro Argentina présenta le nouvel opéra de Rossini. Près de deux cents ans plus tard, il aurait pu en être de même au Châtelet, tant le comte l’emporte sur le barbier. Car le Roumain Bodgan Mihai, moins solaire et charismatique que d’autres Almaviva, n’en possède pas moins la jeunesse de l’emploi, négocie convenablement sinon avec brio les difficultés de sa partie (jusque dans le redoutable «Cessa di più resistere» conclusif) et sait même faire rire en faux maître de musique et vrai clone de Basilio. En Figaro, Bruno Taddia reste un peu terne, fait trop souvent fi de la précision et – à l’image de l’ensemble de la distribution, il est vrai – gagnerait à davantage de puissance. La Rosine d’Anna Stephany a du tempérament à revendre: comme le rappelle le programme de salle, Stendhal a finement observé que Rossini avait transformé «une ingénue en virago», mais la mezzo franco-britannique pousse sa composition jusqu’à hypothéquer l’élégance et la tenue vocales, notamment dans le grave: le Bartolo de Tiziano Bracci en paraît paradoxalement plus subtil et distingué. Nicolas Courjal caractérise de manière convaincante le personnage de Basilio, même si la voix manque encore un peu de corps. Et il ne faut pas oublier la savoureuse Berta de Giovanna Donadini, d’une grande aisance théâtrale et musicale.


Le site de Bogdan Mihai
Le site de Bruno Taddia
Le site d’Anna Stephany
Le site de Nicolas Courjal
Le site de l’Ensemble Matheus



Simon Corley

 

 

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