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«Lumières»... du XIXe siècle Paris Théâtre des Champs-Elysées 01/22/2011 - et 21 janvier 2011 (London) Richard Wagner: Parsifal: Prélude de l’acte I
Gustav Mahler: Totenfeier – Lieder eines fahrenden Gesellen
Franz Liszt: Les Préludes
Sarah Connolly (mezzo)
Orchestra of the Age of Enlightenment, Vladimir Jurowski (direction)
V. Jurowski (© Roman Gontcharov)
Au cours de la saison, Vladimir Jurowski multiplie ses apparitions dans la capitale: avec son Orchestre philharmonique de Londres, en résidence au Théâtre des Champs-Elysées, à deux reprises – l’une voici deux mois, l’autre dans deux mois – mais aussi en décembre dernier avec l’Orchestre de chambre d’Europe, il y a dix jours avec la Staatskapelle de Dresde et maintenant avec l’Orchestre de l’Age des Lumières, dont il est l’un des trois principal artists aux côtés d’Iván Fischer et de Simon Rattle. C’est d’ailleurs avec le patron du Philharmonique de Berlin que la formation anglaise reviendra le 18 juin prochain avenue Montaigne pour un concert Haydn/Mozart avec les sœurs Labèque.
Voilà au demeurant un répertoire auquel on associe plus volontiers un orchestre qui se place lui-même sous la bannière des «Lumières». Bien plus en tout cas qu’à ce programme Liszt/Wagner/Mahler, qui n’a pas fait salle comble et dont l’extrême brièveté – moins de soixante-dix minutes – est compensée par une très forte cohérence chronologique, stylistique et thématique. En manifestant ainsi son intérêt pour la seconde moitié du XIXe siècle, l’OAE s’inscrit dans une démarche qui s’apparente davantage à celle de La Chambre philharmonique d’Emmanuel Krivine, des Siècles de François-Xavier Roth ou d’Anima eterna de Jos van Immerseel qu’à celle des ensembles «baroques» qui s’aventurent parfois jusqu’à Beethoven, mais guère au-delà.
Et rien ici des effectifs rachitiques trop souvent associés à ces reconstitutions «historiques», puisque c’est une respectable masse de cordes – disposées «à la viennoise», les violons de part et d’autre du chef et les huit contrebasses alignées en fond de scène – qui a pris place pour le Prélude de Parsifal (1882). Peu de vibrato, des musiciens à la peine, comme ces flûtes qui ne tiennent pas la note: si, à l’image de personnalités telles qu’Antony Pay à la clarinette, l’excellence des interprètes n’est pas en cause, il faut néanmoins se faire à des caractéristiques inhabituelles qui ne sont pas destinées aux amateurs d’un Wagner tout en sonorités fondues. Et y gagne-t-on pour autant en clarté, en transparence et en qualité de mise en place? En novembre 2009, Jurowski avait déjà dirigé ce Prélude (avec le Philharmonique de Londres): quatorze mois plus tard, ce sont exactement les mêmes mots qui reviennent pour tenter de décrire l’impression laissée par son approche – froideur, raideur, absence de mysticisme aussi bien que de drame, langueur morose confinant à l’ensommeillement.
Totenfeier (1888), avant de devenir, légèrement revu (et raccourci), la première partie de la Deuxième Symphonie, fut d’abord conçu comme une page autonome. Si elles sont tout aussi déroutantes – hautbois nasillards, sinistres cors bouchés, timbales sonnant comme des tom-toms – les couleurs de l’orchestre contribuent à la dimension volontiers étrange et fantastique de l’inspiration mahlérienne dans cette «cérémonie funèbre». Mais qualité technique demeure inégale et la direction, malgré des empoignades spectaculaires, n’évite pas les chutes de tension, même si les progressions sont construites avec un soin aussi méthodique qu’admirable.
Le compositeur a lui-même suggéré que le propos de ce poème symphonique pouvait être considéré comme une marche funèbre pour le héros de la Première Symphonie, dont l’univers est commun à celui des Chants d’un compagnon errant (1885/1896). Malgré un effectif significativement allégé, au sein duquel le premier violon Matthew Truscott casse une corde, Sarah Connolly manque parfois un peu de projection. Mais la mezzo anglaise s’impose par une interprétation techniquement irréprochable, faisant valoir une tessiture d’une remarquable étendue, et délibérément sobre, sans artifices, non pas indifférente mais intériorisée.
Même si l’on espère pouvoir entendre, en cette «année Liszt», ses douze autres poèmes symphoniques, souvent au moins aussi intéressants, Les Préludes (1848/1854) n’a assurément pas volé sa célébrité et a même heureusement survécu à sa récupération par le Troisième Reich. Et il ne pouvait mieux conclure la seconde partie de la soirée, ses premières mesures évoquant les deux partitions données en première partie: le do initial en pizzicato semble prendre le relais de celui qui conclut Totenfeier, tandis que les deux longues phrases ascendantes à l’unisson, en majeur puis en mineur, rappellent le déroulement du début du Prélude de Parsifal. Bien que dégraissé, le souffle lisztien n’en demeure pas moins impressionnant, d’autant que Jurowski se fait enfin un peu moins glacial, mais les difficultés rencontrées par certains pupitres (hautbois, cors) viennent quelque peu gâcher la fête: même si, au fil des œuvres, la satisfaction est allée crescendo, l’OEA a toutefois semblé se situer un ton en dessous d’une phalange à vocation comparable et continuant de faire référence dans ce domaine, l’Orchestre des Champs-Elysées de Philippe Herreweghe.
Le site de l’Orchestre de l’Age des Lumières
Le site de Sarah Connolly
Simon Corley
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