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Onéguine révélé à lui-même

Paris
Opéra Bastille
03/18/1998 -  et 21, 24, 26 et 29 mars, les1er et 4 avril 1998
Piotr Illitch Tchaïkovski : Eugène Onéguine
Thomas Hampson (Onéguine), Susan Chilcott (Tatiana), Elena Zaremba (Olga), Irina Bogatcheva (Filipievna), Helga Dernesch (Larina), Sergei Larin (Lenski), Kristinn Sigmundsson (Grémine), Uwe Schönbeck (Triquet), Nicolas Testé (Zaretski)
Willy Decker (mise en scène), Wolfgang Gussmann (décors et costumes), Hans Toelstede (lumières)
Choeurs et Orchestre de l’Opéra National de Paris, Gary Bertini (direction)

Dès sa création, le spectacle de Willy Decker et Wolfgang Gussmann avait laissé deviner toutes ses qualités. Un dispositif scénique acoustiquement amène, focalisant le regard de manière à acclimater une oeuvre plutôt intimiste sur ce plateau qui invite peu au détail. Une direction d’acteurs claire et précise. Quelques partis-pris auxquels on peut certes refuser d’adhérer, tel ce Triquet bouffon ou la coupure des Ecossaises dans le tableau petersbourgeois (justifiée par l’autographe de Tchaïkovski, mais affaiblissant la scène en gommant un de ses plus beaux effets de contraste) ; vétilles en regard d’une vision dramatique forte et cohérente, marquée par un sens louable de la continuité et reposant sur des enchaînements parfois géniaux - la Polonaise ouvrant le même tableau. Tant sur le plan musical que théâtral, l’interprétation conduit au triomphe cette deuxième reprise.

En accord avec le metteur en scène, Gary Bertini tourne les pages d’un Onéguine cursif où la monotonie de la vie provinciale se ramasse en visions fugaces et volatiles jusqu’à ce que se précipite la catastrophe. Avouons que l’ampleur du phrasé associée à un tempo souvent rapide et une certaine mollesse des attaques dans les actes campagnards déroutent de prime abord. Plus drue, vigoureusement rythmée, donnant en particulier leur juste poids aux silences, la seconde partie éclaire dans sa globalité une narration à la fois pensée et disciplinée, la lisibilité et l’équilibre parfaits des voix de l’orchestre mettant bien sûr en valeur les moirures des violoncelles et les irisations des vents de l’Opéra. Il est rare que le duo final atteigne une telle intensité, partagée par deux protagonistes à leur meilleur.

Hampson pour ses débuts in loco ne retrouve sans doute pas le plus passionnant de ses rôles en Onéguine, personnage auquel ni Pouchkine, ni Tchaïkovski n’ont prêté ces abîmes donjuanesques imaginés par quelques commentateurs farfelus. Mais l’incarnation est idéale, conférant une sincérité poignante à la prise de conscience par cet anti-héros de ses propres responsabilités et de son vide intérieur. Inutile de louer la prestance scénique, la beauté de la voix ou l’éloquence de la diction; l’aisance avec laquelle le musicien délivre ses dernières phrases, rythmiquement redoutables, se doit quant à elle d’être signalée ! L’élan du geste et du souffle, l’intensité des accents font de Susan Chilcott une bouleversante princesse Grémine. Physiquement crédible en jeune Tatiana, elle paraît en revanche plus affectée dans ses émois adolescents, et déçoit un peu dans la scène de la lettre. Très belle chanteuse au demeurant, timbre limpide et équilibré, ligne parfaitement conduite et projetée. Larin n’évoque évidemment que de façon lointaine le poète tout juste sorti de l’enfance qu’imaginait Pouchkine. Mais, dans cette tessiture épargnant la fragilité de son aigu, l’infinie musicalité, la richesse des nuances et la souplesse de la phrase distillent une émotion culminant dans son grand air du troisième acte.

Au rayon des objets de luxe, rangeons l’Olga cuivrée de Zaremba, en contraste parfait avec la porcelaine de Chilcott. A quand sa Marina, sa Marfa sur cette même scène ? Sigmundsson est comme toujours excellent sans faire délirer, mais l’air de Grémine a-t-il vraiment été écrit pour faire délirer qui que ce soit ? Si Dernesch n’expose plus dans un rôle de caractère que d’imposants lambeaux de voix, Bogatcheva épate par l’intégrité préservée des moyens. A suivre, le jeune Nicolas Testé, dont les quelques notes de Zaretski en laissent présager beaucoup d’autres dans des rôles d’une toute autre ampleur. A oublier, le Triquet aussi incompréhensible qu’inécoutable de Schönbeck, l’un des rares nuages décidément sur cette représentation exemplaire.


Vincent Agrech

 

 

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