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Mahler de poche

Paris
Temple des Batignolles
12/15/2010 -  
Gustav Mahler : Lieder eines fahrenden Gesellen (arrangement Arnold Schönberg) – Symphonie n° 4 (arrangement Erwin Stein)

Marie Lenormand (mezzo), Vincent Deliau (baryton)
Les Tempéraments: Charlotte Bletton (flûte, piccolo), Vincent Arnoult (hautbois, cor anglais), Rémi Delangle (clarinette), Marine Thoreau La Salle (piano), Elodie Soulard (accordéon), Sébastien Draux, Mathieu Draux (percussions), Nikola Nikolov, Cécile Tête (violon), Ivan Cerveau (alto), Marie Girbal (violoncelle), Benoît Levesque (contrebasse), Yohann Recoules (direction)




Constitué en 2009, Les Tempéraments se définit comme un «ensemble orchestral» et souhaite se concentrer sur «cette époque riche et foisonnante qui embrasse la fin du XIXe et le passage au XXe siècle», en s’intéressant notamment aux arrangements pour des effectifs restreints: présentant deux œuvres de Mahler adaptées pour une petite formation instrumentale, ce concert s’inscrivait donc on ne peut mieux dans la démarche de ces treize jeunes musiciens. Pour l’occasion, le temple des Batignolles accueille un nombreux public, éclairé par des notes de programme soignées – même si elles avancent un peu imprudemment que le dernier mouvement de la Troisième symphonie dure trois quarts d’heure – et comprenant l’intégralité des textes chantés ainsi que leur traduction.


Le répertoire pour ces ensembles de taille réduite a été remarquablement enrichi par l’activité de la «Société d’exécutions musicales privées» créée en 1918 par Schönberg afin de faire connaître la musique contemporaine de l’époque. Outre la seconde «Ecole de Vienne» et le postromantisme germanique (Reger, Busoni, F. Schmidt, Zemlinsky, Schreker, Korngold, Wellesz, ...), on y joua jusqu’en 1924, dans la capitale autrichienne mais aussi à Prague, tout ce qui comptait dans la musique de l’époque (R. Strauss, Bartók, Stravinski, Szymanowski, Suk, Novák, ...), sans distinction de nationalité (les noms de Debussy et Ravel reviennent ainsi très souvent, mais aussi ceux de Dukas, Milhaud ou Satie) et sans oublier non plus les jeunes talents (Hindemith, Krenek, Lajtha, Pijper). Les œuvres originales (mélodies, musique de chambre, récitals de piano) alternaient avec les réductions pour ensemble de chambre ou pour piano(s), souvent de la plume des compositeurs eux-mêmes (Passacaille de Webern, Petrouchka de Stravinski ou bien La Valse de Ravel, qui y fut même créée). On se souvient que c’est également dans le cadre de ces manifestations que la «trinité viennoise» proposa des versions de quelques valses de Strauss qui furent mises aux enchères à l’issue de leur création, afin de renflouer les caisses de la Société, et qui conservent encore quelque succès de nos jours.


Mahler, représenté dès le concert inaugural par une réduction pour piano à quatre mains de sa Septième Symphonie effectuée par Casella, fut évidemment l’une des figures tutélaires de la Société. Schönberg lui-même, avant de se lancer dans Le Chant de la terre – un travail achevé soixante ans plus tard par Rainer Riehn et qui a fait depuis lors une assez belle carrière au disque comme au concert (voir ici) – adapta en 1920 les Chants d’un compagnon errant (1885/1896) pour flûte, clarinette, harmonium, piano, percussion et quintette à cordes.


Sans autre forme d’avertissement, c’est toutefois en duo – clarinette et piano – et avec Schubert que la soirée débute (avec un bon quart d’heure de retard). Mais cet arrangement du lied «Der Wegweiser» («Le Poteau indicateur»), extrait du Voyage d’hiver (1828), est tout sauf déplacé: la thématique aussi bien littéraire que musicale des quatre lieder de Mahler, et tout particulièrement du dernier, en découle en effet directement. Au sein de l’ensemble, la présence de l’accordéon, en lieu et place de l’harmonium, renforce d’ailleurs cette filiation de caractère populaire. Vincent Deliau s’illustre par une belle qualité vocale sur l’ensemble de la tessiture et par une interprétation très soignée, notamment du point de vue de la prononciation, se faisant plus observateur distant qu’acteur passionné, option que les poèmes du compositeur n’invalident en rien.


Elève de Schönberg entre 1906 et 1910, Erwin Stein (1886-1958) émigra au Royaume-Uni en 1938, où il fut embauché par Boosey and Hawkes. Il y édita les partitions de Britten, qui lui dédia son opéra The Rape of Lucretia, et publia la première édition de la correspondance de Schönberg. Alors qu’il assurait l’intérim de son ancien professeur à la présidence de la Société d’exécutions musicales privées, il avait réalisé en 1921 une réduction de la Quatrième Symphonie (1900) de Mahler. Une certaine ambiguïté plane toutefois sur la paternité exacte de ce travail: Stein en avait perdu le manuscrit à la suite de son exil et c’est sa fille, Marion Thorpe, qui, à la demande des héritiers de Britten, reconstitua à partir des annotations portées par son père sur la partition originale une version qui fut ainsi recréée en 1993.


Toujours est-il qu’en 2010, la nécessité de ces adaptations n’est évidemment plus aussi pressante qu’en ces temps héroïques des années 1920, où la diffusion de la musique de Mahler était bien loin de ce qu’elle est devenue aujourd’hui: la Quatrième Symphonie, précisément, a été donnée deux jours plus tôt à Pleyel sous la direction de Valery Gergiev (voir ici)... et le sera de nouveau, cette fois-ci au Théâtre des Champs-Elysées sous la direction de Mariss Jansons, trois jours plus tard. Et la version d’Erwin Stein sera elle-même reprise dès le 15 janvier prochain à l’Amphithéâtre Bastille sous la direction de Marius Stieghorst.


Augmenté d’un hautbois par rapport aux Chants du compagnon errant, l’effectif semble encore dérisoire au regard de celui de l’orchestre mahlérien (quoique relativement modeste dans la Quatrième): sans que cela puisse être reproché à l’arrangeur ou aux exécutants, on fait avec les moyens du bord, qui, au demeurant, paraissent quantitativement suffisants dans cette acoustique généreuse, typique d’un lieu de culte, et le résultat évoque parfois la musique de salon ou de ville d’eaux. C’est la finesse d’écriture du Scherzo qui se prête sans doute le mieux à l’exercice, moins favorable aux puissants élans des mouvements impairs.


La justesse des cordes est parfois prise en défaut, mais le chef, Yohann Recoules, obtient une excellente mise en place et un équilibre satisfaisant entre les pupitres. En revanche, les musiciens ont peut-être des difficultés, après les trois premiers mouvements, à revenir à une fonction d’accompagnement dans le lied final, tendant à couvrir la voix juste et ronde de la mezzo Marie Lenormand. Quelques accélérations un peu brutales, comme à la fin du premier mouvement, surprennent, mais l’impression dominante est celle d’une certaine réserve, moins d’un manque de saveur – la clarinette de Rémi Delangle, par exemple, a du caractère à revendre – que de... tempérament. Mais l’expérience valait d’être tentée, et il faut souhaiter longue vie à ce tout jeune ensemble, afin qu’il poursuive son exploration de ces arrangements inhabituels.


Le site de l’ensemble Les Tempéraments
Le site de Marie Lenormand



Simon Corley

 

 

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