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Une digestion relativement facile

Paris
Salle Pleyel
12/13/2010 -  
Gustav Mahler : Symphonies n° 4 et n° 6

Anastasia Kalagina (soprano)
Orchestre du Théâtre Mariinsky, Valery Gergiev (direction)


V. Gergiev (© Decca/Marco Borggreve)


Avouons que la perspective d’écouter au cours d’un même concert deux symphonies de Gustav Mahler (1860-1911) pouvait paraître assez lourde, voire indigeste... Pour autant, le public de la Salle Pleyel est venu en très grand nombre pour relever ce défi, d’autant que Valery Gergiev n’offre ce type de performance qu’à deux reprises dans le cadre de l’intégrale qu’il dirige à la Salle Pleyel au cours de la saison 2010-2011 à la tête de l’Orchestre du Théâtre Mariinsky et de l’Orchestre symphonique de Londres. Après le couplage relativement abordable des Première et Cinquième (voir ici) donné la veille, voici donc venu le temps d’écouter deux symphonies aussi dissemblables que sont les Quatrième et Sixième, le caractère solaire et optimiste de la première s’opposant en effet à la symphonie la plus noire, la plus dramatique voire la plus désespérée du compositeur.


La version que Gergiev a donnée de la Quatrième (1899-1900) dans le cadre de son intégrale enregistrée en public avec l’Orchestre symphonique de Londres avait laissé une impression mitigée (voir ici): il en ira de même ce soir. Adoptant dès le premier mouvement (Bedächtig (nicht eilen). Recht gemächlich) un tempo très retenu, Gergiev ne nous plonge à aucun moment dans cette atmosphère de conte de fées qu’Adorno voulait voir dans l’usage introductif du grelot qui accompagne les flûtes avec douceur et nonchalance dès l’introduction. En vérité, voilà un mouvement bien lisse où l’humour s’avère totalement absent, la petite harmonie se montrant trop souvent sur la réserve alors que les clarinettes, par exemple, auraient pu faire preuve de davantage d’exubérance. De même, alors que le deuxième mouvement (In gemächlicher Bewegung. Ohne Hast) se doit d’être sarcastique, grinçant, propre à instiller le malaise (n’oublions pas que le violon solo volontairement désaccordé, tenu ce soir par Kirill Terentiev, est censé symboliser la mort), l’auditeur n’entend ici que sage promenade, fort bien faite au demeurant puisque les musiciens de l’Orchestre du Théâtre Mariinsky s’avèrent être d’un excellent niveau.


Si l’on peut néanmoins regretter un manque général de volume chez les cordes (comptant pourtant sept contrebasses) dans les deux premiers mouvements, on ne peut que tisser des louanges aux interprètes pour le mouvement lent (Ruhevoll), qui mêle de façon si adroite sérénité et gravité. Valery Gergiev, véritablement au milieu de ses musiciens puisque ne se tenant pas sur une estrade quelconque, pétrit à mains nues, sans baguette (ni cure-dents en faisant office comme ce fut parfois le cas lors de précédents concerts), un son qui s’épanouit doucement dans la salle, la mélodie passant ainsi des violoncelles au hautbois avec une grâce infinie. Ce moment de finesse extatique, qui n’est pas sans rappeler le long dernier mouvement de la Troisième symphonie, est malheureusement troublé par le chant d’Anastasia Kalagina qui, dans le dernier mouvement, manque cruellement de poésie, sa voix diaphane ne convenant absolument pas à l’atmosphère paisible et innocente qu’on devrait y entendre. C’est d’autant plus dommage que l’introduction de la clarinette, rapidement épaulée par la flûte et le hautbois, était excellente mais la jeune soprano ne parvient à aucun moment à choisir le registre sur lequel il convient d’intervenir; le dernier mouvement rejoignait ainsi les deux premières parties de la symphonie, suscitant une indifférence croissante en raison d’une implication beaucoup trop faible.


Après cette Quatrième symphonie venait la Sixième (1903-1905), deuxième des trois opus constituant la parenthèse purement orchestrale au sein de son cycle symphonique. Comme l’a notamment souligné Henry-Louis de La Grange, on ne peut que s’étonner du paradoxe entre le contexte particulièrement heureux dans lequel Mahler a entrepris sa composition et le climat tragique (tel est d’ailleurs le qualificatif qui lui est habituellement donné) de l’œuvre. Si certains ont pu voir dans les fameux coups de marteau du dernier mouvement l’annonce des futures blessures du compositeur (en 1907, il part de Vienne, apprend qu’il est malade du cœur et perd sa fille aînée), on en est encore loin. Toujours est-il qu’avec le recul, il est vrai, cette symphonie apparaît plus que jamais comme la manifestation d’un authentique désespoir.


Indéniablement, Valery Gergiev est ici beaucoup plus à son affaire, lançant avec fougue les contrebasses dans un violent premier mouvement à peine les applaudissements terminés. On est immédiatement emporté par ce flot, imperturbable en dépit de quelques baisses de tension, d’inévitables décalages (qui n’en commettrait pas compte tenue de la battue de Valery Gergiev, toujours aussi incompréhensible aux yeux du néophyte?) et de certaines langueurs interprétatives... Enchaînant avec le mouvement lent, Andante moderato, l’Orchestre du Théâtre Mariinsky fait montre d’une qualité beaucoup plus éclatante que lors de la première partie du concert (quel pupitre de cors notamment, emmené par le brillant Stanislav Tses, cor solo sans cesse sollicité!), cette implication se confirmant avec évidence dans le Scherzo. Mouvement peut-être le plus complexe à interpréter en raison de ses multiples variations internes, le Finale fut à l’image du reste de la symphonie: d’une noirceur croissante, il séduit de la première à la dernière note, emportant tout sur son passage dans une sorte de cataclysme (le souffle du public se retenant à chacun des trois grands coups de marteau) avant de s’effondrer dans un dernier pizzicato.


C’est donc dans un véritable enthousiasme que la Salle Pleyel salua, debout, un chef pleinement convaincant qui, en raison d’un hors-d’œuvre plus léger que prévu, l’a ainsi gratifié d’un menu beaucoup plus digeste que la carte aurait pu le faire craindre...



Sébastien Gauthier

 

 

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