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Défis musicaux d’hier, éblouissement vocal d’aujourd’hui

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
12/02/2010 -  
Evaristo Felice Dall’Abaco : Concerto à plusieurs instruments en mi mineur, opus 5 n° 3
Antonio Caldara : Temistocle: «Contrasto assai» et «Non tremar vassalo indegno» – Lucio papirio dittatore: récitatif et air «Troppo è insofribile» – Adriano in Siria: «Tutti nemici e rei» – Ifigenia in Aulide: «Tutto fa nocchiero esporto» – La Clemenza di Tito: récitatif et air «Opprimete i contumaci» et «Se mai senti spirarti sul volto» – Demofoonte: «Misero pargoletto» – L’Olimpiade: «Lo seguitai felice»
Giovanni Battista Sammartini : Sinfonia pour cordes et basse continue en la majeur
Antonio Vivaldi : Concerto pour violoncelle n° 23 en ré mineur, RV 407

Philippe Jaroussky (contre-ténor), Werner Matzke (violoncelle)
Concerto Köln, Stephan Sänger (violon solo et direction)


P. Jaroussky (© Simon Fowler/Virgin Classics)


Philippe Jaroussky manifeste une prédilection pour le répertoire des castrats. Après avoir rendu hommage à un de leurs plus célèbres représentants (Carestini, le préféré de Georg Friedrich Händel), après avoir interprété des œuvres inédites de Johann Christian Bach ou des cantates virtuoses d’Antonio Vivaldi qui leur étaient dédiées, après avoir tenu les rôles qui leur étaient dévolus dans tel ou tel opéra de l’époque, notamment de la main du Prêtre roux, qu’il s’agisse d’Ercole sul Termondonte dans un enregistrement époustouflant récemment paru chez Virgin ou dans La fida ninfa (voir ici), il a maintes fois prouvé ses profondes affinités avec ce répertoire qui reste encore à découvrir. Au sein de ce monde encore caché, il s’attache aujourd’hui à réhabiliter Antonio Caldara (1670-1736), compositeur vénitien qui partagea son activité entre Mantoue, Rome, Venise et Vienne où il devient vice-Kapellmeister à partir de 1716 et ce jusqu’à sa mort. Surtout connu pour ses œuvres religieuses, Caldara composa également un grand nombre d’opéras sur des livrets principalement signés Zeno et Métastase, parmi lesquels surnagent L’Olimpiade (1733) et La Clemenza di Tito (1734).


Dans le cadre de la sortie de son nouveau disque consacré à Caldara («Caldara in Vienna» paru chez Virgin Classics), Philippe Jaroussky proposait donc ce soir de lui rendre hommage en interprétant, toujours accompagné par le Concerto Köln (mais sans chef cette fois alors que, dans le disque, Emmanuelle Haïm est à la direction) des extraits tirés de huit de ses opéras. Deux ont une trame établie par Apostolo Zeno (1669-1750): il s’agit d’Ifigenia in Aulide (1718), dont le sujet avait déjà fait l’objet d’un opéra en 1713 signé Domenico Scarlatti (1685-1757), et de Lucio papirio dittatore (1719). Les cinq autres opéras se fondent, quant à eux, sur un livret du grand Pietro Metastasio (1698-1782): sont ainsi abordés Adriano in Siria (1732), La Clemenza di Tito (1734), Temistocle (1736), Demofoonte (1733), sujet déjà traité par Leonardo Leo (1694-1744) en 1735 et qui le sera plus tard par Jommelli en 1743 (voir ici) et par Hasse en 1748 et, enfin, L’Olimpiade (1733), traitée un an plus tard par Vivaldi et, quelques années après, en 1747, par Galuppi.


Autant dire que Philippe Jaroussky est ici comme un poisson dans l’eau. Passant du registre plaintif («Troppo è insofribile»), où il force l’admiration par sa technique et sa facilité d’émission (il faut l’écouter tenir jusqu’à la dernière note et jusqu’à son dernier souffle, qui plus est sans aucune difficulté apparente, le mot «s’ama» dans le vers «con l’odio di chi s’ama»!), à la tonalité la plus véhémente («Tutti nemici e rei», les vocalises jouant sur les mots comme dans le passage «per lacerarmi il cor»), le jeune chanteur enflamme le public du Théâtre des Champs-Elysées (rempli comme rarement) et éblouit.


Le choix des interprètes s’est arrêté sur certains extraits d’opéras qui ont le mérite de ne pas faire de la technique pour de la technique: la plupart des passages chantés ce soir furent d’ailleurs bien plus éblouissants en raison de leur sensibilité et de l’appropriation des mots par la musique qu’en raison des acrobaties vocales qui, pour certains, sont un simple outil de démonstration de leurs propres capacités. Ainsi, même si les trilles ornent à plusieurs reprises l’air «Non tremar vassalo indegno» («Ne tremble pas, indigne vassal»), on retiendra surtout, entre autres moments privilégiés, l’air «Tutto fa nocchiero esporto» où Jaroussky, dialoguant, dansant même («e afferri il porto»), avec le délicat violon solo de Stephan Sänger, cisèle une véritable dentelle vocale absolument renversante. De même, comment passer sous silence le superbe «Se mai senti spirarti sul volto» où, dans le vers «sarà dolce con questa mercé», la voix s’allie là encore avec le violoncelle puis le violon dans une alchimie qu’on ose à peine évoquer de peur de la briser. Certes, les esprits chagrins pourront éventuellement reprocher à Philippe Jaroussky de ne pas avoir une tonalité assez rageuse dans l’air «Opprimete i contumaci» (La Clemenza di Tito) ou d’émettre parfois quelques aigus de façon un peu trop rude (dans le passage «Son questi gli estremi sospiri» au sein de l’air «Se mai senti spirarti sul volto»), mais ce ne sont là que broutilles qui se trouvent très largement éclipsées par une prestation admirable de bout en bout.


Entrecoupant les prestations de Philippe Jaroussky, les musiciens toujours aussi passionnés et exemplaires du Concerto Köln donnèrent quelques pièces instrumentales en alliant raretés, les concertos d’Evaristo Felice Dall’Abaco (1675-1742) demeurant confidentiels en dépit de quelques parutions discographiques récentes (voir ici), les sinfonias de Giovanni Battista Sammartini (1698-1775) demeurant elles aussi assez largement ignorées, et pièces plus connues à l’image du beau Concerto pour violoncelle RV 407 de Vivaldi. Les deux flûtistes, Martin Sandhoff et Cordula Breuer, véritables solistes du concerto, sont impeccables tant du point de vue technique que musical, l’orchestre étant au diapason de leur prestation. Si la Sinfonia de Sammartini s’avère de facture relativement classique (on est néanmoins emporté par les accents râpeux, les cordes qui claquent, l’archet qui cingle dans le dernier mouvement, Presto assai), on saluera comme il le mérite l’excellente interprétation que donne Werner Matzke du Concerto pour violoncelle RV 407 (un des vingt-quatre concertos répertoriés pour cet instrument chez le Prêtre roux, sans compter les œuvres pour deux violoncelles ou celles qui font jouer ensemble violoncelle et autres instruments solistes).


Ovationnés par l’ensemble du public, Philippe Jaroussky et ses comparses donnent, avec une gentillesse et une simplicité confondantes, pas moins de quatre bis, trois d’Antonio Caldara (dont un étonnant «Se un core annodi», extrait d’Achille in Sciro, où les musiciens se mettent à chanter, provoquant, dans un bref jeu de scène, la sortie de scène de Philippe Jaroussky) et un de Nicola Porpora (1686-1768). Cette amabilité se poursuit après ce concert qui dura deux heures, Philippe Jaroussky dédicaçant son disque à près de deux cents admirateurs avec patience et un mot à l’adresse de chacun, une partie de la vente étant reversée au bénéfice de l’association Iris (luttant contre les immunodéficiences primitives) dont le chanteur est le parrain et à laquelle il avait dédié cette soirée.


Signalons enfin aux amateurs que Philippe Jaroussky reviendra au Théâtre des Champs-Elysées pour chanter Purcell avec Andreas Scholl le 11 décembre et pour interpréter diverses mélodies (de Rossini à Léo Ferré!) le 17 décembre avec ses amis chanteurs et instrumentistes (Karine Deshayes, Renaud et Gautier Capuçon, le Quatuor Ebène...). Signalons surtout sa participation à la représentation scénique d’Orlando furioso de Vivaldi, au mois de mars 2011, sous la direction de son complice Jean-Christophe Spinosi, avec la participation, entre autres, de Marie-Nicole Lemieux, Jennifer Larmore et Verónica Cangemi. Autant dire, trois rendez-vous indispensables!


Le site de Philippe Jaroussky
Le site du Concerto Köln



Sébastien Gauthier

 

 

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