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Greffe Paris Salle Pleyel 11/24/2010 - et 25* novembre 2010 Joseph Haydn: Symphonie n° 82 «L’Ours»
Wolfgang Amadeus Mozart: Concerto n° 10 pour deux pianos, K. 316a [365] – Messe n° 14 «du couronnement», K. 317
Maria João Pires, David Bismuth (piano), Marita Solberg (soprano), Renata Pokupic (mezzo), Maximilian Schmitt (ténor), Nahuel di Pierro (basse)
Chœur de l’Orchestre de Paris, Michael Gläser (chef de chœur), Orchestre de Paris, Jean-Christophe Spinosi (direction)
J.-C. Spinosi (© Serge Derossi/Naïve)
La greffe ne prend pas toujours aisément – et c’est un euphémisme – entre les chefs issus du mouvement «baroqueux» et les formations «traditionnelles»: de nombreux cas de rejet demeurent d’ailleurs dans toutes les mémoires. Toutefois, dans la capitale, l’Orchestre de Paris est sans doute l’un de ceux qui a poussé le plus loin le rapprochement de ces deux univers qui se considèrent réciproquement non sans une certaine méfiance: Frans Brüggen fut un temps (1998-2000) l’un des deux «chefs invités» chargés d’assurer l’intérim entre Semyon Bychkov et Christoph Eschenbach, et a poursuivi depuis lors sa collaboration avec les musiciens parisiens; en outre, Roger Norrington (2000, 2005) et Marc Minkowski (2005) ont également été amenés à les diriger à plusieurs reprises.
C’est dans ce contexte que se situent les débuts à l’Orchestre de Paris de Jean-Christophe Spinosi. Agé de quarante-six ans, le fondateur de l’Ensemble Matheus étend désormais son répertoire jusqu’à Ravel et Chostakovitch, si l’on en croit sa biographie reproduite dans les notes de programme, mais il a choisi pour l’occasion deux compositeurs de l’époque classique: en ces temps de crise, Haydn et Mozart confirment leur capacité à remplir les salles. La Quatre-vingt-deuxième Symphonie «L’Ours» (1786) ouvre cependant le concert sous des auspices mitigés: l’effectif, pourtant pas si restreint que cela (quarante cordes), sonne bien léger, alors même que les cordes n’excluent pas tout vibrato, notamment dans les attaques, et l’approche privilégie un caractère théâtral qui aurait mieux convenu à la Soixantième «Le Distrait», tel ce surprenant passage col legno dans le Vivace assai final. Ce qui pourra sans doute être reproché au chef français, davantage que sa gestuelle toujours aussi démonstrative et ses bonds sur le podium, c’est, malgré un Menuet très enlevé, une tendance à dilater le tempo et les points d’orgue, pratiquant un stop and go qui finit par rendre la partition bancale. Entre silences interminables, reprises intégralement respectées et surprises caractéristiques de Haydn, les spectateurs ne savent plus trop bien où ils en sont: ils applaudissent, persuadés que le Finale est terminé, alors que Spinosi fait durer le plaisir pour lancer le retour de la seconde partie du mouvement – comme Simon Rattle dans son enregistrement de la Quatre-vingt-dixième.
Après cette symphonie appartenant au groupe des six Parisiennes vient le Concerto pour deux pianos (1779), l’une de ses premières œuvres de Mozart à son retour du désastreux et tragique voyage en France. Le climat ne s’en ressent pourtant pas, d’autant que Spinosi a opté pour la pompeuse instrumentation réalisée quelques années plus tard pour Vienne (avec deux clarinettes, deux trompettes et timbales), qui «dénature l’esprit intimiste établi dans la version initiale», comme le relève fort pertinemment François Dru dans ses excellentes notes de programme: de fait, les sonorités évoquent le Vingt-deuxième Concerto, dans la même tonalité de mi bémol. Mais l’essentiel demeure le duo soliste: Maria João Pires n’était pas revenue à l’Orchestre de Paris depuis avril 1998 – et c’est Mozart qu’elle avait alors déjà joué, sous la direction de Brüggen: à l’unisson de David Bismuth, avec lequel elle travaille depuis plusieurs années, voilà un assemblage de mozartiens accomplis et très appréciés du public.
Ils offrent en bis un arrangement pour piano à quatre mains des deux derniers des quatre numéros de la Seconde Suite de Peer Gynt (1874/1891) de Grieg («Retour de Peer Gynt» puis «Chanson de Solveig»): un choix un peu surprenant, à moins qu’il ne fût destiné à annoncer la venue après l’entracte de la soprano norvégienne Marita Solberg, qui, au sein d’un quatuor soliste de qualité, homogène et bien assorti, s’illustre dans l’Agnus Dei de la Messe du couronnement (1779). Contraint par le texte et les forces en présence, Spinosi n’a pas les coudées aussi franches que dans Haydn, mais la commande de l’archevêque Colloredo ne s’en déploie pas moins avec une opulence vocale – la petite centaine de membres du Chœur de l’Orchestre de Paris, préparé par Michael Gläser – et un éclat instrumental tout à fait baroques. L’expression se fait volontiers dramatique et dynamique, voire théâtrale et violente, mais dans cette «messe brève», le style opératique ne demande qu’à s’épanouir.
Le site de David Bismuth
Simon Corley
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