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Défense et illustration du chant français

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
11/18/2010 -  
Jacques Fromental Halévy : Charles VI: «Sous leur sceptre… Humble fille des champs»
Luigi Cherubini : Médée: «Ah, nos peines sont communes»
Ambroise Thomas : Mignon: «Connais-tu le pays?» – Raymond: Ouverture
Jules Massenet : Scènes dramatiques, suite n° 3 pour orchestre – Werther: «Werther, Werther!... Qui m’aurait dit la place…»
Georges Bizet: Carmen: «L’amour est un oiseau rebelle» et «Danse bohème»

Marie-Nicole Lemieux (contralto)
Orchestre national de France, Fabien Gabel (direction)


M.-N. Lemieux (© Denis Rouvre)


Première surprise: le Théâtre des Champs-Elysées est plein alors que le programme n’est, sur le papier en tout cas, peut-être pas aussi immédiatement attractif qu’une symphonie de Beethoven ou de Mahler... Deuxième surprise: le programme mettait à l’honneur des compositeurs français qui n’embarrassent habituellement pas les affiches de concert, même si Luigi Cherubini et Georges Bizet connaissent, surtout pour le second, une indéniable notoriété. Qui, aujourd’hui, programme Ambroise Thomas (1811-1896) et Fromental Halévy (1799-1862) dans une même représentation? Troisième surprise: Marie-Nicole Lemieux, que l’on a déjà entendue aussi bien dans le répertoire baroque (voir ici) que dans les symphonies de Mahler (voir ici) ou Pelléas et Mélisande de Debussy (voir ici), révèle ici des talents insoupçonnés aussi bien de chanteuse que de comédienne, talents qui n’avaient peut-être jamais été aussi éclatants.


Rapportant les propos d’un certain Boilay, Sainte-Beuve écrivait dans ses Nouveaux lundis à propos d’Halévy: «Il écrivait tout, musique et littérature, avec grand soin, et était difficile pour lui-même: il raturait, il émondait; il voulait la clarté, l’expression juste». C’est exactement ce que l’on éprouve en entendant l’air «Sous leur sceptre... Humble fille des champs», extrait de son opéra en cinq actes Charles VI (1843), œuvre monumentale et disparate à la fois, qui a connu un certain succès à sa création en raison, notamment, de la luxuriance des costumes! Marie-Nicole Lemieux incarne magnifiquement la figure d’Odette, inspirée du personnage historique d’Odette de Champdivers (1391-1425?), qui fut la maîtresse du roi Charles VI et qui semblait être la seule à pouvoir calmer ses accès de folie, dans un air tourmenté qui, à partir d’une délicate césure orchestrale annoncée par les deux flûtes et un cor, devient beaucoup plus apaisé avant de se conclure sur une note totalement enflammée (la dernière phrase, «J’entends la voix de Dieu» étant d’ailleurs un rien trop poussée par la cantatrice).


Cherubini était ensuite à l’honneur avec un extrait son opéra le plus célèbre, Médée (1797), sur un livret de François Benoît Hoffmann (1760-1828), le librettiste préféré de Méhul. L’extrait choisi (acte II, scène 4) est justement célèbre pour mettre en valeur, en premier lieu, non la voix, mais le basson (superbe Philippe Hanon) qui inaugure le passage dans une douloureuse introduction, véritable écrin où Marie-Nicole Lemieux peut ensuite se glisser en toute quiétude. Ecoutée par un public attentif et silencieux comme rarement, elle émeut de bout en bout, révélant des talents de tragédienne hors de pair.


Aujourd’hui, la programmation des œuvres d’Ambroise Thomas se fait rare, même si plusieurs scènes françaises programment de temps à autre Hamlet ou Mignon. Compositeur prolifique, il connaît d’immenses succès parmi lesquels son opéra Mignon (1866) demeure le plus notable, le Comte Henry Delaborde n’hésitant pas à évoquer «cette Mignon qui, même avant l’apparition d’Hamlet, devait irrévocablement classer Ambroise Thomas parmi les maîtres» (Notice sur la vie et les œuvres de M. Ambroise Thomas prononcée le 31 octobre 1896 à l’Académie des Beaux-Arts). L’opéra atteignit ainsi les 1000 représentations au seul Opéra Comique (l’œuvre ayant par ailleurs été donnée dans l’Europe tout entière) au cours de l’année 1894. Nommé directeur du Conservatoire en 1871 à la suite d’Auber (qui avait occupé le poste depuis 1842!), il connaît un dernier triomphe en janvier 1896 lors de l’exécution du Prologue de sa pièce Françoise de Rimini, décédant quelques jours plus tard. L’air choisi par Marie-Nicole Lemieux, «Connais-tu le pays?», permet à la jeune chanteuse (elle est née en 1976) de jouer là encore sur la diversité des climats, passant de la douce nostalgie instaurée par la flûte solo – tenue ce soir par Michel Moraguès (impérial tout au long du concert alors qu’il fut, sans nul doute, sollicité plus que tout autre musicien de l’orchestre) – à la douleur sentimentale («Hélas!... Que ne puis-je te suivre vers ce rivage heureux») avant de retrouver une atmosphère bienfaisante («Connais-tu la maison où l’on m’attend là-bas»). L’Orchestre national de France, dirigé par un Fabien Gabel à la gestique toujours aussi martiale, est excellent, bénéficiant d’une finesse absolument exceptionnelle de la part des instrumentistes (les papillonnements des flûtes et hautbois).


Raymond ou Le Secret de la Reine (1851) fait, quant à lui, partie d’une série de six opéras comiques avec La Tonelli (1853), La Cour de Célymène (1855), Psyché et Le Carnaval de Venise (tous deux datant de 1857) et Le Roman d’Elvire (1860); seule son Ouverture est passée à la postérité et continue de figurer à l’affiche de quelques concerts. Fabien Gabel et le National en donnent une interprétation étourdissante qui se conclut dans un galop incroyable (conduisant d’ailleurs à un léger décalage entre les cordes et les cors puis la caisse claire): un véritable feu d’artifice!


La seconde partie du concert était consacré à deux noms illustres de la musique française: Jules Massenet et Georges Bizet. La Troisième Suite (1874) est une des sept suites composées par Massenet à l’attention de l’orchestre entre 1867 et 1882. On y trouvera de la musique fort bien faite mais sans toujours y percevoir une grande imagination. Là encore, l’Orchestre national de France est à la fête, inaugurant les «Prélude et Divertissement» par un formidable roulement de timbales et de grosse caisse, l’emportement des cordes étant stoppé par la clarinette toujours aussi séduisante de Patrick Messina. Les douces couleurs du «Mélodrame», requérant une rare osmose entre la clarinette, les deux harpes et le hautbois, permettent de marquer une pause avant que la partition grandiloquente au style pompier de la «Scène finale» n’emplisse le Théâtre des Champs-Elysées, la conclusion nécessitant force roulements de caisse claire et coups de cymbales. Tout autre est le climat de «Qui m’aurait dit la place», tiré de Werther, opéra du même Massenet, créé en 1892 à Vienne avant d’être représenté en France pour la première fois un an plus tard. La transparence orchestrale (les trilles des violons au milieu de l’air pour illustrer les babillements des enfants dans le passage «Des cris joyeux d’enfants montent sous ma fenêtre») accompagne merveilleusement Marie-Nicole Lemieux qui, plus que dans tout autre air du concert, se révèle plus tragédienne que chanteuse, l’effroi se muant finalement en désespoir total. Là aussi, triomphe attendu et inévitable.


Enfin, comment conclure un tel concert sans rendre hommage à Carmen (1875), sur un livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy, qui n’est autre que le neveu de Fromental Halévy. Même si les deux extraits orchestraux furent enthousiasmants (Marie-Nicole Lemieux se mettant même à chantonner et à tournoyer sur scène lors de la «Danse bohème»!), c’est surtout la fameuse «Habanera» qui est à marquer d’une pierre blanche, la cantatrice québécoise jouant d’un air (et d’un ton) mutins, délicieusement pervers, qui envoûtent l’assistance comme rarement.


Face à un tel triomphe – le mot n’est pas trop fort – Marie-Nicole Lemieux, riante, d’une fraîcheur et d’une simplicité rares, et Fabien Gabel se devaient de donner un bis: ce fut l’air «Mon cœur s’ouvre à toi», extrait de Samson et Dalila (1877) de Saint-Saëns. Enthousiasme renouvelé des spectateurs! Et, dernière pirouette du concert (la jeune chanteuse dédiant cet air «à toutes les femmes»), en guise de second bis, un extrait de La Fille du tambour-major (1879) de Jacques Offenbach (1819-1880), tiré de la scène 2 de l’acte II, l’air où la duchesse della Volta avoue être victime de sa migraine et des vapeurs... On en redemande mais, malheureusement, pas de troisième bis: à défaut, on se précipitera sur le disque que viennent de sortir Marie-Nicole Lemieux, Fabien Gabel et le National chez Naïve, qui reprend une bonne partie des airs entendus ce soir: une sorte de lot de consolation... Peut-on néanmoins espérer qu’un concert ultérieur, réunissant la même équipe, permette de vivre de nouveau une de ces soirées dont on souhaite qu’elle ne finisse que très, très tard? A l’approche de Noël, il est permis d’en faire la demande.


Le site de Marie-Nicole Lemieux



Sébastien Gauthier

 

 

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