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De l’art de prendre des risques … Geneva Victoria Hall 11/18/2010 - Serge Prokofiev: Concerto pour piano n° 3, opus 26
Maurice Ravel: Concerto en sol
Serge Rachmaninov: Concerto pour piano n° 2, opus 18 Maria Masycheva, Mami Hagiwara, Hyo Joo Lee (piano)
Orchestre de la Suisse Romande, Pascal Rophé (direction)
Il ne faut jamais oublier qu’une soirée de finale d’un concours n’est pas un concert comme les autres. Il s’agit d’une compétition et les jeunes musiciens ne peuvent qu’être plus nerveux. Il ne faut pas non plus oublier que le concours ne consacre pas un artiste qui va encore évoluer mais confirme qu’à un moment celui-ci est prêt à se produire et voler de ses propres ailes. Enfin, il faut se rappeler qu’il y a un équilibre à trouver entre une certaine propreté de jeu et l’affirmation d’un tempérament artistique. A nouveau, il s’agit d’une compétition qui doit choisir un gagnant et le jury se doit de prendre en compte un minimum de critères objectifs.
C’est dans cette optique qu’il faut écouter et juger la performance de la jeune Russe Maria Masycheva. Son exécution du Troisième Concerto de Prokofiev n’est-il pas un peu trop propre ? Elle choisit des tempi un peu trop retenus pour une œuvre que l’on voudrait plus épique ou plus sarcastique. Toutes les notes sont là mais le registre de nuances est un peu limité, ce qui la fait passer à côté des grandes lignes mélodiques si nombreuses de ce concerto. Il y a trop de sérieux, trop de sagesse à ce stade dans son jeu. Elle a cependant une solide technique et aurait tout à gagner à laisser s’exprimer un tempérament artistique qui ne demande qu’à le faire.
Mami Hagiwara, cadette des finalistes – 23 ans – est japonaise. Le contraste avec son aînée russe est fort. Sa palette de nuances est plus large en particulier dans les pianos. Elle aborde le Concerto en sol de Maurice Ravel avec panache, choisissant des tempi vifs dans l’esprit jazz qui avait inspiré le compositeur français. Son jeu n’est probablement pas aussi clair que celui de Masycheva, un peu trop de pédale par ici, quelques accrocs par là, mais il y a une présence que l’on ne peut ignorer et c’est naturellement que dans le développement du mouvement lent, on se laisse prendre par la poésie du dialogue entre piano et le cor anglais et que l’on oublie pour un moment qu’il s’agit d’une compétition.
La troisième candidate est une Coréenne de 25 ans, Hyo Joo Lee. Elle a un beau toucher et propose la technique probablement la plus solide de cette soirée. Mais n’est-elle pas dès le début desservie par le choix d’une œuvre aussi rabâchée que le Deuxième Concerto de Rachmaninov ? Ne faudrait-il pas simplement bannir de finale de concours des œuvres comme ce concerto ou celui de Tchaïkovski ?
Pascal Rophé et l’OSR s’avèrent des partenaires très solides. Rappelons que ceux-ci se connaissent bien et ont en particulier collaboré à de nombreuses reprises tant au Victoria Hall qu’au Grand Théâtre. Très précis dans ses attaques, le chef français trouve de très belles couleurs dans le jeu des bois du Ravel. Mais surtout, il sait porter toute son attention à ses solistes, sachant légèrement allonger sa battue chaque fois que cela s’avère nécessaire pour maintenir un ensemble clair. A nouveau, l’exercice qui consiste en peu de temps à accompagner trois pianistes de tempéraments différents est délicat et demande une technique de direction et une rigueur à toute épreuve.
Après une longue délibération, le jury présidé par Jacques Rouvier a attribué le premier prix à Mami Hagiwara tandis que Maria Masycheva et Hyo Joo Lee (par ailleurs prix du public) se partagent le deuxième ex aequo. Preuve qu’en musique comme dans de nombreux domaines, c’est un grand risque de ne pas trop en prendre.
Le site du Concours de piano de Genève
Antoine Leboyer
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