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A la quatrième porte, il sera exactement…

Paris
Salle Pleyel
02/19/1998 -  
Joseph Haydn : Symphonie n° 88
Bela Bartok : Le Château de Barbe-Bleue

Cornelia Kallisch (Judith), Laszlo Polgar (Barbe-Bleue)
Orchestre de Paris, Christoph von Dohnanyi (direction)
Ernst van Tiel (assistant à la direction), Thierry Dervaux (mise en lumière)

Le programme de ce concert est presque une plaisanterie. L'auditeur déboussolé de ce soir pourrait en effet croire avoir chuté dans une faille spatio-temporelle durant l'entracte. Si l'idée de cette programmation était de provoquer un effet de contraste, le défi est admirablement relevé - mais est-il probant ? On cherchera en vain des liens, une continuité. Les deux oeuvres jouées se parasitent davantage qu'elles n'entrent en relation - mais peut-être s'agissait-il de tester les capacités d'adaptation des interprètes et des auditeurs ?

La symphonie de Haydn est bien exécutée. Le jeu est léger, l'articulation nette, les vents sont parfaits. L'oeuvre connaît des instants surprenants où Haydn ne se ressemble plus - il écrit déjà dans l'avenir. La cellule de base est inexistante - très abstraite, comme le seront celles utilisées par les compositeurs romantiques les plus novateurs (les derniers Beethoven et Wagner, par exemple) - ce qui en rend les possibilités d'utilisation très diverses (rythmiques, mélodiques...) et lui confère un rôle fondateur tout en permettant une constante variété de l'écriture. Si l'organisation de l'oeuvre est moderne, le style de jeu qu'elle requiert, ainsi que ses thèmes mélodiques, sont très datés - au vu de la suite du programme. Il s'agit malheureusement pour l'auditeur d'oublier au plus vite dans l'entracte qui arrive.

Une ébauche de mise en scène et en lumière a été réalisée pour Le Château de Barbe-Bleue - l'auditeur n'a pourtant pas le souvenir d'avoir changé de salle. L'orchestre est dans une relative obscurité, comme en une fosse d'opéra. Au commencement, les deux personnages sont aux deux extrémités de la scène, éclairés par des projecteurs. Ils vont, au long de l'oeuvre, se déplacer dans l'obscurité pour rejoindre le centre éclairé de la scène, traversant des rangées de violons, d'un côté ou de l'autre du chef, puis revenir aux extrémités de la scène et les quitter de nouveau, pour finir à leurs points de départ. Des lumières de couleur apparaissant à l'ouverture de chaque porte éclairent progressivement le mur du fond, respectant de manière très - trop ? - littérale les indications scéniques du livret. Elles sont ici anecdotiques, s'apparentant à des panneaux de sortie sur l'autoroute.

Hormis cette bavure kitsch, la réalisation scénique est assez frappante. L'orchestre devient décor abstrait, masse inerte pour les chanteurs qui le traversent d'une démarche fantomatique. Les humains qui se croisent ont des présences très différentes. L'être humain assis dans l'ombre, hors du drame, acquiert, au passage du chanteur, une valeur de question. Cette foule humaine, mur du château, est un objet avec lequel le chanteur ne joue pas, mais qui remplit la scène de sa présence muette. L'oeuvre se joue ici comme question politique - sur la scène se rencontrent la foule (l'orchestre), deux versants de l'être humain (Barbe-Bleue et son trop grand savoir et Judith à la recherche d'une vérité interdite), et la loi (les portes). L'oeuvre relate ainsi la marche inéluctable d'une structure, que l'on dirait psychique, vouée au néant, au silence. Dans les dernières mesures de son texte, Judith ne chante plus qu'un unique intervalle, celui de seconde diminuée, thème musical du sang qui a parcouru toute l'oeuvre, le plus insignifiant et le plus subversif des intervalles, celui après lequel il n'y a plus que le silence. Barbe-Bleue, qui le dernier conservera la lumière, retourne à l'obscurité. La foule muette de l'orchestre est prison - tout comme Judith, Barbe-Bleue disparaît d'un trop grand désir de liberté, d'un excès de paroles.

Les chanteurs sont quelque peu dépassés par les événements. Laszlo Polgar est un Barbe-Bleue impassible au jeu calamiteux. Affichant un sourire de Joconde durant l'intégralité de l'oeuvre, sa posture est celle d'un mort-vivant de série B - le savoir tue-t-il ? Cornelia Kallisch est, elle, vocalement et scéniquement très expressive et convaincante, bien qu'évoquant davantage la Nourrice de La Femme sans ombre qu'une frêle jeune femme amoureuse - le désir de vérité transforme-t-il une femme en mégère ? Elle tire le rôle du côté du cri rauque, au détriment, parfois, du chant, mais à l'avantage de la scène. Tous deux sont couverts par un orchestre très puissant, tout droit sorti de sa fosse pour les dévorer - des phrases entières y disparaissent. Faudrait-il diminuer l'intensité de l'orchestre, qui joue une partition écrite pour une fosse, pour s'adapter aux difficultés d'une exécution en concert, ou doit-on continuer à imposer aux chanteurs ces jeux du cirque desquels ils sortent le plus souvent perdants - rarement auréolés d'une gloire qui ne mesure que leurs qualités d'athlètes ?

L'oeuvre, passionnante, s'accommode assez bien de ces quelques défauts, qu'elle sait tirer à son avantage. L'ébauche de mise en scène dont elle était l'objet la servait parfaitement. Obscurité et subtile discrétion de la scène étaient une très grande aide à la concentration de l'oreille. La pertinence en était certainement plus grande que dans beaucoup de mises en scène tape-à-l'oeil où le jeu des acteurs n'est pas plus travaillé, et où le décor est d'autant plus illustratif qu'il est clinquant.



Gaëlle Plasseraud

 

 

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