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Victoire française cinquante-cinq ans après Devy Erlih Paris Opéra Comique 11/13/2010 - Johannes Brahms : Concerto pour violon, opus 77 [1]
Jean Sibelius : Concerto pour violon, opus 47 [4, 5]
Ludwig van Beethoven : Concerto pour violon, opus 61 [2, 3]
Eugen Tichindeleanu [1], Mathilde Borsarello-Herrmann [2], Guillaume Chilemme [3], Tatsuki Narita [4], Solenne Païdassi [5] (violon)
Orchestre philharmonique de Radio France, Jaime Martín (direction)
Second temps de la finale, deux jours après le récital (voir ici), l’épreuve de concerto vient traditionnellement couronner le concours Long-Thibaud. Le mécanisme de choix de l’œuvre que doivent exécuter les finalistes est partagé entre le jury et les candidats: deux listes comprenant chacune trois concertos ont été constituées; au moment de son inscription, le candidat est invité à en sélectionner un dans chacune de ces deux listes; lorsque vient le moment de la finale, il reste alors au jury à lui assigner lequel de ces deux concertos il lui reviendra effectivement de jouer.
Si la liste «A» regroupait trois des plus incontournables du répertoire (en ré, forcément), en l’espèce ceux de Beethoven (1806), Brahms (1878) et Sibelius (1905), la liste «B», avec les Seconds concertos de Szymanowski, Prokofiev et Chostakovitch, faisait preuve de beaucoup plus d’originalité. Le fait que le jury ait exclusivement puisé dans la liste «A» peut se justifier: venu nombreux malgré la diffusion en direct sur le site de France Musique, le public a ainsi échappé à la perspective de devoir entendre trop souvent Prokofiev, préféré par seize des dix-sept candidats, un seul ayant opté pour Chostakovitch et aucun pour Szymanowski. Afin en outre d’éviter que le même concerto ne soit donné à deux reprises au cours de l’une des deux séances de cette épreuve, l’ordre de passage des candidats, inchangé depuis le début de la compétition, a été légèrement aménagé.
Cette seconde partie de la finale n’a pas fondamentalement remis en cause les constats opérés à l’issue de la première partie, confirmant en outre le sentiment d’une confrontation de personnalités aussi différentes qu’intéressantes, et non pas de produits lisses et standardisés comme c’est parfois malheureusement le cas dans ce type de concours. Les violonistes sont accompagnés cette année par l’Orchestre philharmonique de Radio France, dirigé par Jaime Martín. Jusqu’alors essentiellement connu pour ses fonctions de flûte solo à l’Orchestre de chambre d’Europe et, depuis 2009, à l’Orchestre philharmonique de Londres, l’Espagnol peine visiblement à s’imposer: les premiers pupitres, au premier rang desquels Svetlin Roussev, cinquième prix en 1996 et troisième grand prix en 1999, donnent l’impression de se caler entre eux, de tenir la barre et de s’attacher à suivre les solistes plutôt que la battue du chef. De fait, l’essentiel est qu’en fin de compte, tout se soit déroulé sans le moindre accroc.
E. Tichindeleanu (© Jérôme Panconi)
On ne peut hélas pas en dire autant du Brahms d’Eugen Tichindeleanu qui ouvre la matinée: si son niveau ne dépare certes pas cette finale, sa prudence n’empêche pas un trop grand nombre d’imprécisions. Même si le Roumain ne refuse pas systématiquement de s’engager, c’est l’impression d’un retrait expressif qui prédomine et le propos tend donc à s’enliser face à un orchestre toutes voiles dehors dans les tutti, dans une salle Favart qui n’est décidément pas le lieu le plus approprié pour le répertoire symphonique. Fort logiquement, c’est le cinquième prix (4500 euros) qui lui est donc décerné.
T. Narita (© Jérôme Panconi)
La comparaison se fait immédiatement à son désavantage avec Tatsuki Narita: dans Sibelius, il apparaît à la fois plus assuré et plus sûr, réalisant quasiment un sans-faute, mais surtout plus éloquent, poétique et sensible. Si sa sonorité est également plus flatteuse, il s’accommode d’un certain manque de puissance par un refus de l’emporte-pièce, par une concentration sans faille et par un jeu très contrôlé. Peut-être le plus régulier au vu de l’ensemble de la finale, le benjamin de cette compétition reçoit le deuxième grand prix (15200 euros) et le prix pour la meilleure interprétation de la pièce imposée de Klaus Huber (3000 euros), témoignages d’un talent d’ores et déjà plus que prometteur.
M. Borsarello-Herrmann (© Jérôme Panconi)
Plus souple et plus libre que le Japonais, Mathilde Borsarello-Herrmann livre un Beethoven aux contours nets, mais ne semble trouver réellement ses marques et sa confiance qu’à partir de la réexposition de l’Allegro ma non troppo: crescendo jusqu’à une éblouissante cadence dans le Rondo final, sa prestation est récompensée par le quatrième prix (4100 euros).
G. Chilemme (© Jérôme Panconi)
L’après-midi, Guillaume Chilemme contraste fortement dans la même œuvre: si la Française faisait dans la pudeur classique, son compatriote, d’emblée plus affirmé, cultive un ton romantique, narratif et rayonnant, sans doute aussi plus extérieur. Si l’interprétation affiche un plus grand souci de recherche, la réalisation paraît toutefois globalement moins aboutie, mais son troisième grand prix (6100 euros) et son prix des élèves des conservatoires de la Ville de Paris (2500 euros) ne sont nullement immérités.
S. Païdassi (© Jérôme Panconi)
L’opposition des styles est tout aussi passionnante au travers du Sibelius de Solenne Païdassi, plus physique et plus risqué, plus viril et coloré que celui de Narita. Généreuse en vibrato, elle joue sur la séduction et l’affectif et frappe par son exubérance et sa puissance: le résultat est spectaculaire à souhait, façon «grand concerto virtuose», mais n’est pas exempt de légers dérapages techniques et mélodramatiques. Elle obtient le premier grand prix Jacques Thibaud (30500 euros) et offre ainsi à la France sa première victoire dans une édition «violon» du concours Long-Thibaud depuis celle de Devy Erlih, président du jury, voici cinquante-cinq ans. Avec les prix du public (5000 euros) et de l’Orchestre philharmonique de Radio France (qui lui vaut un engagement avec cette formation), son succès tient même du triomphe.
Simon Corley
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