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Baie des anges

Nice
Opéra
10/07/2010 -  et 10, 13, 16 octobre 2010
Francis Poulenc : Dialogues des carmélites
Jean-Philippe Lafont (le Marquis de la Force, le Geôlier), Karen Vourc’h (Blanche de la Force), Frédéric Antoun (le Chevalier de la Force), Paul Agnew (l’Aumônier du Carmel), Sylvie Brunet (Madame de Croissy), June Anderson (Madame Lidoine), Sophie Koch (Mère Marie de l’Incarnation), Hélène Guilmette (Sœur Constance de Saint-Denis), Julia Brian (Mère Jeanne de l’Enfant Jésus), Bérangère Mauduit (Sœur Mathilde), Richard Rittelmann (l’Officier), Thomas Morris (Premier commissaire), Ioan Hotensche (Thierry), Thierry Delaunay (Monsieur Javelinot)
Chœur de l’Opéra de Nice, Orchestre Philharmonique de Nice, Michel Plasson (direction)
Robert Carsen (mise en scène)


(© D. Jaussein)


Plus que des martyres, des anges, vêtus de blanc, qui dansent dans l’extase. On est toujours ému, quand on revoit la production de Robert Carsen, qui a inauguré, à Nice, la première saison de Jacques Hédouin, un vrai « pro », ancien compagnon de route, à Lyon, de Louis Erlo puis de Jean-Pierre Brossmann, qu’il suivit ensuite au Châtelet, récemment élu – à l’unanimité – président de la Chambre professionnelle des directeurs d’opéras. Le metteur en scène avait tenu à être là, alors que, le même soir, se donnait à Florence la première de sa Salomé. Toujours aussi sobre et aussi fort, inauguré à Amsterdam avant d’être repris à Milan, où les caméras de TDK l’ont filmé pour en faire un DVD, le spectacle frappe à la fois par sa richesse et son dépouillement : pas besoin de décor, par exemple, tant les lumières de Jean Kalman rythment l’espace, à l’unisson des consciences, de leurs doutes et de leurs certitudes. Quoi de plus beau que cette scène où, dans un noir à la Soulages, Blanche et Marie prient sur le linceul de la Prieure ? Ou que celle où les religieuses, voilées de noir, figurent la clôture à travers laquelle passent malgré tout le frère et la sœur ? Ou que celle où les condamnées, baignées de lumière, se lovent contre la Nouvelle prieure comme une couvée d’oiseaux apeurés ? Le metteur en scène canadien, s’il donne à voir les âmes, ne fige pas les corps, comme c’est trop souvent le cas. Ses carmélites vivent d’une vie intense, chacune avec sa force ou sa faiblesse, toutes confrontées à l’angoisse du salut, sous le regard indifférent ou menaçant d’une foule anonyme présente dès la première scène. C’est que le drame, ici, s’inscrit aussi dans une histoire atemporelle : la lecture de Carsen ne s’interdit pas un certain réalisme, dès lors qu’il ne devient pas naturalisme outrancier.


On est aussi ému parce que Michel Plasson sait exploiter toutes les ressources d’un orchestre qui semble ressusciter, se souvenant des conseils d’un Poulenc invitant un jeune chef à ne pas faire exactement ce qui est écrit. L’esprit plutôt que la lettre. Pas de sécheresse façon Stravinsky ou façon Groupe des Six : ces Dialogues s’inscrivent avant tout dans une tradition française de souplesse, de fluidité, de sensualité même, pour mieux nous montrer tout ce que cette musique doit à Massenet ou à Debussy. On est surpris, aussi, par la manière dont le chef, impose une tension, fait avancer la musique, lui qu’on a souvent connu trop exclusivement coloriste et pas assez théâtral, dirigeant une vraie tragédie en musique.


La distribution, si elle n’est pas sans défauts, forme un ensemble d’une belle tenue et d’une grande homogénéité, parce que d’abord tous connaissent les arcanes du style français – même si l’articulation laisse parfois à désirer. Sollicitée après le forfait de Natalie Dessay, Karen Vourc’h réussit une belle composition, Blanche plus meurtrie et écorchée vive que « petit lièvre », hantée par un héroïsme auquel elle ne peut atteindre, tirant le meilleur parti possible d’une voix trop légère pour le rôle – plutôt celle de sœur Constance, à vrai dire –, à l’homogénéité parfois incertaine – l’aigu a des duretés qui ne correspondent pas au reste de la tessiture. Hélène Guilmette, en revanche, séduit aussitôt par sa fraîcheur et sa pureté lumineuses, avec, pour le coup, des registres parfaitement soudés et de jolies couleurs. Qualifié de « grand lyrique » par Poulenc, mère Marie relève plutôt du falcon, ce que pourrait bien, le temps faisant son œuvre, devenir Sophie Koch, à l’aigu très sûr, Sous-Prieure fanatiquement raidie, renouvelant, par sa jeunesse et la richesse de son timbre, l’image que l’on se fait du personnage, souvent confiée à des chanteuses fatiguées. Pour les mêmes raisons, Sylvie Brunet n’est plus cette Prieure vocalement ruinée, l’un des refuges, à l’instar de la Comtesse de La Dame de pique, des fins de carrière : plutôt mezzo que contralto, fait pour les grands Verdi, au timbre généreux, moins sensuel et plus fauve que celui de Sophie Koch, elle ne recourt pas à l’artifice, chante le rôle et confère à madame de Croissy une noblesse, une autorité dont elle ne se défait qu’aux derniers instants de l’agonie – et c’est chez elle que l’articulation satisfait le plus.


L’aînée incarne cette fois madame Lidoine, une June Anderson portant encore beau malgré des aigus moins ronds et un médium toujours un peu discret ; cela dit, la technique, en particulier la maîtrise du souffle, une certaine fréquentation du répertoire français pallient ces handicaps et assurent, surtout, la tenue des longues phrases de la nouvelle Prieure, rayonnant ici de cette autorité sereine et tutélaire qui manquent à mère Marie. Tous les anciens ne se trouvent pas dans une aussi avantageuse situation : Jean-Philippe Lafont a beau incarner la déclamation à la française, il ne domine plus son vibrato et cherche en vain les aigus du Marquis, faisant d’autant plus ressortir les qualités du Chevalier impeccablement stylé de Frédéric Antoun. Paul Agnew, lui, peine à faire entendre une voix blanche totalement élimée et l’on aurait facilement trouvé Aumônier moins pâle. Les seconds rôles concourent à l’équilibre du plateau, à commencer par… Jean-Philippe Lafont, beaucoup plus à l’aise en Geôlier, qui ne s’époumone pas, comme tant d’autres, à lire la liste des condamnées.


La nouvelle équipe niçoise – qui a perdu Alain Lanceron comme conseiller artistique mais gagné Philippe Auguin comme directeur musical – a réussi son examen d’entrée. Sur la Baie des anges, l’opéra revit.



Didier van Moere

 

 

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