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Un exemple redoutable Paris Salle Pleyel 01/14/1998 - Bela Bartok : Concerto pour piano n°3
Gustav Mahler : Symphonie n°5
Jean-Efflam Bavouzet (Piano)
Orchestre de Paris, Pierre Boulez (direction) "Georg Solti était un remarquable symbole de vitalité et d'énergie.
Dans les postes successifs qu'il a occupés, il a fait preuve de qualités exceptionnelles, élargissant, au moyen des disques et de la télévision, leur rayonnement à une dimension mondiale.
Il aura eu le privilège d'être actif jusqu'au bout de sa riche carrière et de disparaître au plus haut de ses moyens.
C'est un exemple redoutable et admirable qu'il nous faudra garder en mémoire."
C'est par ces mots que s'exprimait Pierre Boulez trois jours après le décès de Georg Solti, le 6 septembre 1997. Ces deux concerts que le chef hongrois devait diriger furent donc l'occasion de lui rendre hommage, notamment en tant qu'ancien directeur musical (1972-1975) et invité régulier de l'Orchestre de Paris. En dirigeant le programme initialement prévu, Pierre Boulez saluait la mémoire d'une personnalité hors du commun et très exigeante, avec les autres comme avec elle-même, et respectait aussi une de ses dernières volontés, une de ses dernières intuitions, faire jouer le pianiste Jean-Efflam Bavouzet. Solti aimait en effet encourager de jeunes artistes, leur "mettre le pied à l'étrier" en les invitant à jouer avec lui. Renée Fleming et Angela Gheorghiu par exemple, que l'on a pu voir récemment à Paris dans Le Chevalier à la Rose et La Traviata, lui doivent beaucoup ; le pianiste français restera sa dernière "découverte".
Une découverte assurément précieuse tant le jeu de Jean-Efflam Bavouzet enchante par son élégance racée, sa conviction, son émotion (le deuxième mouvement) et qui ne verse jamais dans l'effusion ou la brutalité. Souhaitons, conformément au désir de Solti, que cette prestation donne un nouveau coup d'accélérateur à une carrière déjà brillante commencée il y a dix ans. Après l'entracte, Pierre Boulez dirigea la Cinquième Symphonie de Gustav Mahler, deux ans seulement après l'avoir donnée au Théâtre des Champs-Elysées avec l'Orchestre philharmonique de Vienne (le 28 mars 1996) pour un concert mémorable par son approche radicale : le refus de tout romantisme, une approche verticale, analytique et une direction au scalpel. On a bien sûr retrouvé ces caractéristiques lors de cette soirée. Le tempo, par exemple, est complètement objectivé, il évolue par palier, il est "plaqué" sur des séquences et change brutalement à la fin d'une phrase, la matière musicale est contrainte et sommée d'exprimer toute sa richesse sans un quelconque alanguissement ou la moindre frénésie, sans aucun narcissisme. Pierre Boulez dirige comme un tailleur de diamants façonne sa pierre, rien n'est laissé au hasard, le travail est austère, calculé, méthodique mais le résultat est fascinant ! Un exemple, lui aussi, "redoutable".
Philippe Herlin
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