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Affaire à suivre

Paris
Salle Pleyel
09/15/2010 -  et 16* septembre 2010
Paul Dukas : La Péri
Jean Sibelius : Kullervo, opus 7

Soile Isokoski (soprano), Juha Uusitalo (baryton)
Chœur national d’hommes d’Estonie, Chœur de l’Orchestre de Paris, Orchestre de Paris, Paavo Järvi (direction)




Le voici chez lui : Paavo Järvi est désormais maître à bord de l’Orchestre de Paris, parti pour un long périple. Vitesse de croisière ou toutes voiles dehors ? On attendait peut-être trop de ce premier concert audacieux : alors que les chefs inaugurent souvent leur règne par des tubes du répertoire, pour montrer ce qu’ils savent y faire, l’Estonien a choisi la rareté – prenant le risque de ne pas attirer un public nombreux. La Péri n’atteint pas à la popularité de L’Apprenti sorcier – hors-d’œuvre de son concert du 13 octobre – et, de Sibelius, Kullervo est beaucoup plus rare que les œuvres symphoniques. Une façon de nous dire que l’Orchestre devra s’ouvrir à l’insolite et à la rareté. De l’insolite relèvent, malheureusement, certaines œuvres de musique française, dont Christoph Eschenbach, pur produit de la tradition germanique, ne se montrait pas toujours friand – à d’heureuses exceptions près, comme les Symphonies d’Albert Roussel. Cette musique française, Paavo Järvi l’aime et la connaît, pas seulement Debussy et Ravel – il vient de graver, avec son nouvel orchestre, la Symphonie en ut et Roma de Bizet. On se réjouit d’entendre, au cours de la saison, la Symphonie de Franck mais aussi les Trois danses de Duruflé, et Fauré remplira toute une soirée.


Affaire à suivre, donc, en espérant que chef et orchestre trouveront leur rythme, ce qui n’est pas chose faite. Il faudra d’abord alléger une sonorité empâtée par Christoph Eschenbach, trouver des couleurs plus vives et plus nettes, assurer l’homogénéité des pupitres. Autant de choses que l’on cherchait en vain dans une Péri décevante. Pas de risque, pourtant, que Paavo Järvi germanise la musique de Dukas, lui qui dégraisse déjà ses Beethoven. Mais la baguette reste plus cérébrale qu’instinctive. Il en résulte une lecture impeccablement dominée du « poème dansé » de Dukas, notamment dans la danse de la Péri, trop raide toutefois alors qu’on l’attend capiteuse, sans sensualité ni mystère, où les plans sonores peinent à s’équilibrer – si les bois sont superbes, il faudra veiller au fondu des cordes – et où les couleurs se cherchent. Une direction trop analytique et pas assez chorégraphique, à l’image de ce corps droit, de ces gestes sans rondeur.


Avec Kullervo, les choses changent. Le chef connaît sans toute plus intimement une partition qui le renvoie à ses racines et dont il a laissé l’un des plus beaux enregistrements – chez Virgin, avec la Philharmonie de Stockholm. L’orchestre, lui, l’ignorait, contraint à un travail d’autant plus exigeant : il s’en sort avec les honneurs, même si l’on ne sent pas vraiment de fusion avec l’œuvre. Ce Kullervo impressionne par sa tenue d’ensemble, par la continuité de l’élan que Paavo Järvi imprime à une partition de plus d’une heure, où il montre un sens certain de la narration – qui faisait défaut à La Péri. La direction combine la puissance et la clarté, les couleurs se font volontairement plus vertes, les nuances plus riches. Et cette vaste fresque inspirée du Kalevala, vie de héros parmi d’autres, loin de rejoindre les cathédrales chorales du post-wagnérisme comme les Gurrelieder de Schoenberg, annonce plutôt ici le Sibelius à venir, tout en exaltant les forces de cette nature primitive qui fascinait le « carélianisme ». La troisième partie, où se consomme l’inceste entre le frère et sa sœur, atteint vraiment à une grandeur épique, fusant parfois comme un geyser, grâce aussi au chœur – et quand le chœur d’hommes estonien rejoint celui de l’Orchestre de Paris sous la direction d’Andrus Siimon, avons que le second sonne autrement. Grandeur épique qu’on retrouve chez Juha Uusitalo, le Wotan du Châtelet, géant nordique au timbre sombre et mordant, qui écrase un peu une Soile Isokoski déjà trop légère face à un tel orchestre. Mais, fidèle à lui-même, le chef, qui n’est décidément pas du genre visionnaire inspiré, évite obstinément toute surenchère dans l’effusion : la quatrième partie n’appuiera pas le pittoresque des passages où perce le folklore. La mort de Kullervo n’en paraît que plus tragique. Oui, on est impressionné par tant de maîtrise.


Ils s’étaient rencontrés quelquefois, les voilà mariés. Reste maintenant à former un vrai couple.



Didier van Moere

 

 

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