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Gatti retrouvé

Salzburg
Grosses Festspielhaus
08/08/2010 -  et 12, 16*, 20, 23, 28 août
Richard Strauss : Elektra, opus 58
Waltraud Meier (Klytämnestra), Iréne Theorin/Janice Baird* (Elektra), Eva-Maria Westbroek (Chrysothemis), Robert Gambill (Aegisth), René Pape (Orest), Oliver Zwang (Der Pfleger des Orest), Benjamin Hulett (Ein junger Diener), Josef Stangl (Ein alter Diener), Orla Boylan (Die Aufseherin), Maria Radner (Erste Magd), Martina Mikelić (Zweite Magd), Stephanie Atanasov (Dritte Magd), Eva Leitner (Vierte Magd), Anita Watson (Fünfte Magd), Arina Holecek (Dei Vertraute), Barbara Reiter (Die Schleppträgerin)
Chœur de l’Opéra d’Etat de Vienne, Orchestre Philharmonique de Vienne, Daniele Gatti (direction)
Nikolaus Lehnhoff (mise en scène)


W. Meier, R. Pape (© Hermann und Clärchen Baus)


A Salzbourg, Elektra va et vient. On ne l’avait pourtant pas vu depuis 1996, où Lorin Maazel et Keita Asari avaient beaucoup moins convaincu que Claudio Abbado et Harry Kupfer en 1989. Mais les grandes Elektra d’après guerre restaient celle de Dimitri Mitropoulos et Herbert Graf, avec Inge Borkh, Lisa Della Casa et Jean Madeira en 1957, puis celles de Herbert von Karajan et Teo Otto en 1964 et 1965, avec Atrid Varnay et Martha Mödl – l’écoute des deux live vous cloue encore sur place. Un point commun en tout cas, depuis la première in loco de 1937 dirigée par Clemens Krauss : la Philharmonie de Vienne dans la fosse.


C’est elle qui, par sa splendeur, fait le prix de la production de cette année 2010, portée par un Daniele Gatti heureusement surprenant, qu’on est ravi de retrouver tel qu’on a pu l’aimer. On se réjouit de ne pas reconnaître le chef du National, assez peu inspiré ces derniers temps à Paris – il est vrai que la phalange viennoise, pour laquelle Elektra n’a guère de secrets, aurait beaucoup à apprendre a l’orchestre de Radio France... même celui de l’Opéra, le meilleur de l’Hexagone, n’atteignait pas de tels sommets sous la direction pourtant très straussienne d’un Christoph von Dohnányi. Avec une phalange aussi virtuose qu’inspirée, Gatti, qui a travaillé sa partition jusque dans ses plus infimes recoins, joue sur du velours. Il peut admirablement équilibrer les plans sonores, laisser tout entendre, faire parfois saillir des détails qu’on n’avait pas perçus jusque là, notamment du côté des bois. L’énorme masse orchestrale s’éclaire et atteint la transparence que Strauss exigeait pour son opéra le plus audacieux. Cette direction plus lyrique qu’épique, du coup, comme dans Parsifal à Bayreuth, s’attache plus au modelé des couleurs qu’à l’urgence du théâtre – la première mesure, déjà, devrait claquer comme une gifle et nous prendre a la gorge.


Justement, dira-t-on : Elektra n’est pas Parsifal. Mais il faut s’adapter aux voix et celles-ci n’ont pas tout à fait le format requis. Gatti, d’ailleurs, ne l’aurait pas d’emblée compris, à qui l’on a reproché, lors de la première, de couvrir bruyamment le plateau – il s’est fait même un peu bousculer. Et Dieu sait si le grand Festspielhaus est cruel pour les gosiers, surtout lorsqu’on met dans la fosse plus de cent musiciens. Arrivée d’Espagne au dernier moment pour remplacer Iréne Theorin souffrante après deux représentations, Janice Baird avait donc grand besoin d’être soutenue, d’autant plus que, confrontée aux rôles les plus lourds du répertoire, elle n’a pu échapper à la blessure du temps. Si l’on retrouve toujours ce timbre très particulier, plus de chair que d’acier, chaud et fauve, riche en zones d’ombres, rappelant plus Christel Goltz ou Astrid Varnay que Birgit Nilsson, l’aigu a blanchi et perdu de son assurance, les registres ne se soudent plus aisément. Mais voilà des années qu’elle compose une des plus intéressantes Elektra du moment, grâce aussi à un beau travail sur le texte, qu’elle s’identifie à la hargne et à la douleur de la fille d’Agamemnon – désormais moins sauvages, plus intériorisées. Ainsi oublie-t-on celles qui ne sont plus : on s’attache à cette Elektra si humaine, si émouvante malgré ses insuffisances.


Eva-Maria Westbroek, en revanche, déçoit un peu, elle dont la Chrysothémis nous avait émerveillé à Bastille. Est-ce la salle ? On a beau retrouver avec le même plaisir la vierge irradiante, frémissant de l’attente des désirs assouvis, la voix semble parfois poussée dans ses retranchements par les grands élans de la première scène avec Elektra et l’aigu n’a plus toute sa lumineuse pureté. Cela dit, vocalement, la déception vient plus encore de Waltraud Meier. Retrouver Clytemnestre, rôle de mezzo grave et sombre, quinze ans après, lorsqu’on n’a cessé d’aller et venir – avec bonheur – entre deux tessitures, ne va pas de soi. Certes elle renouvelle le personnage, rien moins que vieille peau geignarde, acariâtre et agressive, encore belle et désirable, à la fois reine et vamp, moins mère que femme, presque grande sœur qui aurait fait un riche mariage, superbe dans sa grande robe rouge – mais est-ce encore Clytemnestre ? De même, elle chante le rôle, sans concession au Sprechgesang, tout en sculptant les mots en Liedersängerin. Mais cela se sent, se devine, rien de plus : elle est trahie par une voix au médium béant, que l’on entend à peine, du moins au fond de l’orchestre, et l’on cherche en vain cette reine dont les rires et les « Lichter » ont disparu. René Pape donne une vraie stature de fils de roi à Oreste, dont il assume la tessiture de hoher Bass, alors que Robert Gambill, engorgé et poussif, ne fait rien d’Ėgisthe.


Nikolaus Lehnhoff signe une production impeccablement classique, sans grand élan toutefois, lui qu’on a connu plus inventif dans le propos et plus affiné dans la direction d’acteurs, en particulier dans ses superbes Stigmatisés de 2005 – mais Janice Baird n’a pas eu le temps de s’approprier la production. Tout cela colle au texte et à la musique, dans un décor de béton évoquant une prison et un état oppressif. Rien d’autre que des murs percés de trous où, au début, sont nichées les servantes, des murs penchant vers l’arrière de la scène, comme l’esprit d’Elektra est aspiré par le passé – rien de tel pour engloutir les voix. Seule la fin marque vraiment, lorsque la porte de fer s’ouvre sur une sorte d’abattoir : Oreste, pétrifié, regarde sa mère pendue à un croc par les pieds. La lumière, alors, n’est pas celle de la vengeance, mais celle du remords : de toutes parts, surgissent en rampant les noires Erinyes. Elektra, qui a passé à son frère le manteau de leur père, ne danse même pas, comme elle le faisait dans son monologue. Rien moins que triomphal, le do majeur sonne presque incongru : c’est l’entrée dans l’enfer.



Didier van Moere

 

 

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