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Le laboratoire de Bayreuth Bayreuth Festspielhaus 07/25/2010 - et 3, 6, 17, 22, 27* août 2010 Richard Wagner: Lohengrin
Georg Zeppenfeld (König Heinrich), Jonas Kaufmann/Klaus Florian Vogt/Simon O’Neill* (Lohengrin), Annette Dasch (Elsa), Hans-Joachim Ketelsen (Friedrich von Telramund), Evelyn Herlitzius (Ortrud), Samuel Youn (Heerufer des Königs), Stefan Heibach (1. Edler), Willem van der Heyden (2. Edler), Rainer Zaun (3. Edler), Christian Tschelebiew (4. Edler)
Chœur et Orchestre du Festival de Bayreuth, Eberhard Friedrich (préparation du chœur), Andris Nelsons (direction musicale)
Hans Neuenfels (mise en scène), Reinhard von der Thannen (décors & costumes), Franck Evin (lumières), Björn Verloh (vidéo)
Contrairement à Salzbourg, où le bling-bling règne désormais en maître, Bayreuth garde encore son aura de lieu mythique, de pèlerinage pour wagnériens purs et durs. Ainsi, malgré le forfait de Jonas Kaufmann pour les deux dernières représentations de Lohengrin, les personnes à la recherche d’un précieux sésame n’étaient pas moins nombreuses que d’habitude tout autour du vénérable Festspielhaus. Ténor vedette ou pas, les détenteurs de billets savaient trop leur chance pour vouloir se priver du spectacle. Et où trouve-t-on encore un théâtre lyrique sans surtitres ni résumé de l’œuvre dans le programme de salle, si ce n’est sur la célèbre Colline? Car ici chacun connaît son Wagner sur le bout des doigts ou presque... Autre exemple révélateur: si, partout ailleurs, seules les premières sont parfois chahutées, les esprits se calmant par la suite, à Bayreuth même la dernière représentation d’une longue série peut diviser clairement la salle, entre huées violentes et applaudissements frénétiques, comme ce fut le cas justement pour Lohengrin, la seule nouvelle production de l’édition 2010, quatre-vingt-dix-neuvième du nom.
Durant tout l’été, le spectacle conçu par Hans Neuenfels a alimenté les discussions et suscité les polémiques. A 69 ans, l’enfant terrible du théâtre allemand n’a rien perdu de son sens de la provocation, qui est un peu sa marque de fabrique. Pour ses débuts, tardifs, à Bayreuth, le metteur en scène situe l’action... dans un laboratoire aux formes géométriques blanches, peuplé de rats noirs, blancs et roses, de drôles de rongeurs en fait, ayant quelque chose d’humain. A moins que ce ne soient les hommes qui ont en eux quelque chose du rat? La question est clairement posée. L’impression de clinique est renforcée par la blancheur des éclairages, quand ce ne sont pas les lumières qui s’allument dans la salle. L’intrigue est vue comme une expérimentation, une dissection de la nature humaine et des sentiments amoureux. Si, une fois la première surprise passée, on peut ne pas partager une vision aussi radicale et manifestement bien éloignée du sujet de l’œuvre, force est de reconnaître néanmoins la cohérence de la démarche. Mais c’en est clairement trop pour une large frange du public, qui ne se prive pas de manifester bruyamment son désaccord.
Côté distribution, les choses ne sont pas aussi passionnantes et on ne peut finalement s’empêcher d’afficher une certaine déception. Certes, Simon O’Neill en Lohengrin fait bien davantage que sauver la soirée et, d’ailleurs, le ténor néo-zélandais récolte un joli succès d’estime au rideau final. Mais parmi ses collègues, seul le Heinrich de Georg Zeppenfeld tire son épingle du jeu, avec des accents nobles et raffinés. L’Elsa d’Annette Dasch, très attendue, semble bien terne, et la voix bien légère pour le rôle, avec de surcroît quelques problèmes d’intonation. Si l’Ortrud d’Evelyn Herlitzius ne manque pas de tempérament ni d’expressivité, le chant est par contre à la limite de la vocifération. A noter que le premier remplaçant de Jonas Kaufmann a été Klaus Florian Vogt, par ailleurs superbe Walther von Stolzing dans des Maîtres Chanteurs eux aussi plombés par une distribution honnête, sans plus. Vocalement, le plus grand motif de satisfaction vient du chœur, tout simplement superbe.
Les satisfactions sont aussi dans la fosse, où Andris Nelsons a fait un début très remarqué à Bayreuth. Plus jeune chef de l’histoire du Festival (31 ans), il a offert une interprétation toute en fluidité et en transparence, privilégiant la finesse poétique et les atmosphères aux effets de manche, avec des tempi passablement larges qui n’ont pourtant pas freiné la tension dramatique. Un détail en dit long sur sa prestation: avant que ne résonnent les premières notes du dernier acte, des applaudissements chaleureux se sont fait entendre dans la salle, comme pour marquer son arrivée dans la fosse invisible du public. Le chef letton reprendra d’ailleurs Lohengrin l’année prochaine, édition pour laquelle on nous annonce d’ores et déjà une nouvelle production de Tannhäuser confiée à la baguette de Thomas Hengelbrock.
Claudio Poloni
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