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Tetzlaff, l’anti Vengerov Paris Théâtre des Champs-Elysées 12/15/1997 - Magnus Lindberg : Feria
Johannes Brahms : Concerto pour violon et orchestre
Jean Sibelius : Symphonie n°2 en ré majeur
Christian Tetzlaff (violon)
Orchestre symphonique de la radio de Finlande, Jukka-Pekka Saraste (direction) Brahms, le Concerto pour violon. La baguette du chef retombe, le premier mouvement est terminé. Malgré les chut indignés de quelques spectateurs parisiens, la salle s’emplit d’applaudissements. Et pourtant, il aura fallu attendre la fin de ce premier mouvement pour prendre pleinement la mesure du talent du violoniste allemand. Depuis un quart d’heure, sous la houlette froide de Jukka-Pekka Saraste, l’orchestre de la radio de Finlande exécute une interprétation propre mais un peu sèche du grand concerto de Brahms, quand tout s’arrête pour la cadence, et que s’élève enfin la note fragile du violon de Tetzlaff. Il fait corps avec son instrument, l’écoute chanter, vivre. Et la magie se produit : Tetzlaff manque de puissance. Depuis le début du concerto, il faut tendre l’oreille pour l’écouter. Mais dans le silence religieux du théâtre des Champs-Elysées, chacun peut mesurer l’intelligence de son interprétation. Chaque note est voulue, pensée. Et là où un Vengerov éblouit l’assistance par l’étonnante et écrasante facilité de son jeu, le jeune allemand propose de la dentelle, sans jamais cependant être maniéré. C’est pourtant là que le bat blesse un peu. Tetzlaff n’arrive pas à imposer son violon à l’orchestre. Pour le bis - un extrait des sonates et partitas pour violon seul de Bach, dont l’enregistrement chez Virgin Classics lui a valu un diapason d’or - le même phénomène se reproduit : le public suit pas à pas la reconstruction délicate de l’oeuvre, parce qu’il joue seul. Tetzlaff est décidément plus fait pour la musique de chambre que pour les grands concertos, non par manque de virtuosité, mais bien parce qu’il n’a pas la puissance nécessaire pour dominer l’orchestre.
Orchestre que Jukka-Pekka Saraste a su plier à sa manière. Son interprétation de la symphonie n°2 en ré majeur de Sibelius est étonnante. L’oeuvre est disséquée, reconstruite, et on reconnaît avec peine les grandes envolées romantiques et patriotiques de Sibelius. C’est avec une rigueur et une froideur très septentrionale que le jeune chef finlandais dirige la symphonie. Mais celle-ci revêt un caractère très particulier pour les finlandais. Créée en 1901, lors de la quasi annexion de la Finlande par la Russie, la Symphonie n°2 avait été accueillie comme une manifestation de patriotisme. Le chef Robert Kajanus devait d’ailleurs décrire l’andante comme " la plus accablante protestation contre toute injustice qui, dans notre temps, menace de ravir au soleil sa lumière et à nos fleurs, leur parfum " et le finale comme " une fin triomphale, destinée à faire naître chez l’auditeur, l’idée de perspectives d’avenir claires et sûres ". C’est donc une relecture très intellectualisée que propose Saraste, avec lequel son orchestre fait admirablement corps. Les deux bis - la Valse triste et Finlandia - sont eux interprétés dans une note plus romantique, même si là encore, le chef ne se départit jamais de sa froideur.
En revanche, une froideur qui sied à merveille à cette Feria de Lindberg. Créée par le même Saraste en août 1997, cette pièce en un seul mouvement aux relents espagnols s’enrichit du contraste d’une interprétation nordique et d’une certaine ampleur, particulièrement dans la partie lente dont la progression harmonique ressemble au Il Lamento d’Arianna de Monteverdi. Construite sur l’architecture d’un quatuor à cordes, Feria s’organise autour de l’interaction de différents groupes instrumentaux qui lui confèrent un caractère presque mécanique que le rigorisme du chef fait remarquablement ressortir.
Nicolas Thuilleux
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