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Une Bohème pour les voix Saint-Céré Prudhomat (Château de Castelnau-Bretenoux) 07/28/2010 - et 31 juillet, 3, 7, 9, 12* août (Saint-Céré) 2010, 19 (Cahors), 22, 23 (Martigues) janvier, 4 (Maisons-Alfort), 11 (Grenoble), 18 (Saint-Louis) février, 3, 5, 6, 8 (Massy), 24 (Blagnac), 26 (Carcassonne) mars, 2 (Plaisir), 9 (Clermont-Ferrand), 15 (Chassieu), 20 (Rodez), 29 (Le Chesnay), 30 (Juvisy-sur-Orge) avril 2011 Giacomo Puccini : La Bohème
Isabelle Philippe (Mimi), Andrea Giovannini (Rodolfo), Christophe Lacassagne (Marcel), Jean-Claude Sarragosse (Colline), Alain Herriau (Schaunard), Eduarda Melo (Musette), Eric Perez (Benoît, Saint-Phar), Samuel Oddos (Parpignol)
Chœur et Orchestre du festival de Saint-Céré, Dominique Trottein (direction musicale)
Olivier Desbordes (mise en scène), Patrice Gouron (costumes, décors et lumières)
A. Giovannini, I. Philippe (© Nelly Blaya)
Si le château de Montal et le théâtre de l’Usine possèdent leur charme, une soirée au château de Castelnau-Bretenoux constitue toujours un temps fort pour le festivalier à Saint-Céré: précédée d’un pique-nique au pied de la façade ouest qui domine la vallée de la Dordogne, la représentation se tient dans l’une des cours de cette imposante demeure (XIIe-XVIIe). Victime d’un incendie criminel survenu en 1851, elle a été sauvée de la ruine par Jean Mouliérat (1853-1932), chanteur à l’Opéra Comique, qui l’acquiert en 1896. Deux ans plus tard, en 1898, le ténor quercynois met fin à sa carrière.
Précisément, c’est en 1896 que fut créée La Bohème (à Turin, sous la direction de Toscanini) et en 1898 que la première parisienne prit place à l’Opéra Comique, dans une version française réalisée par Paul Ferrier (1843-1920), un auteur dramatique qui adapta par ailleurs les livrets de Tosca, La Chauve-souris et La Flûte enchantée tout en travaillant pour Offenbach, Hervé, Varney, Lecocq, Messager, Pierné et Rabaud. C’est à partir de cette version qu’Olivier Desbordes a conçu une nouvelle production de l’opéra de Puccini, qui avait déjà été monté à Saint-Céré en 1993. Par malchance, l’initiative a souffert du désistement à la dernière minute de Svetislav Stojanovic. Andrea Giovannini, par ailleurs à l’affiche de La Belle de Cadix, a permis de sauver les meubles, mais Rodolphe est redevenu Rodolfo: autrement dit, le ténor italien, qui, à la différence de ses partenaires, n’a évidemment pas eu le temps d’apprendre le rôle en français, le chante dans sa langue maternelle. Le metteur en scène et directeur artistique du festival invite le public à prendre les choses avec humour: il faut imaginer cette Bohème hybride comme celle d’étudiants «Erasmus» avant l’heure... Même si le résultat surprend aux premières répliques, même si les duos et ensembles sonnent curieusement, mieux vaut en effet prendre le parti d’en sourire, comme le font les protagonistes, qui ajoutent parfois un peu d’italien à leur français, et vice versa.
Après les bohémiens plus ou moins authentiques de Cadix (voir ici) et de Séville (voir ici), voici donc la bohème... parisienne. Dans sa note d’intention, Olivier Desbordes rappelle qu’il avait situé sa précédente Bohème dans un univers associant les Illusions perdues de Balzac et le Paris en noir et blanc de Brassaï. Cette fois-ci, il se dit inspiré par Le Grand Meaulnes et sa «découverte de l’amour qui transcende la vie», mais aussi par un autre récit d’initiation, La Danse pieuse de Klaus Mann. Revendiquant une certaine modestie – «des sensations et des idées diverses, pour accompagner cette œuvre faite de petites touches de vie, de scènes de bohème...» – sa direction d’acteurs demeure virtuose, en particulier dans les scènes de comédie, et son travail conserve sa rigueur coutumière, mais sans l’éclat ni l’inventivité de ses précédentes mises en scène, ni même leur magie, sinon ces petits points lumineux piquetant la cloison durant la mort de Mimi.
Les décors de Patrice Gouron sont à l’avenant: deux grands panneaux tournants de couleur sombre, délimitant l’espace étroit de la petite chambre sous les toits, entre une embrasure de porte et une lucarne, ou s’ouvrant sur des gradins accueillant les choristes aux visages blafards au Quartier latin ou à la barrière d’Enfer. Il signe aussi les costumes, de facture classique pour les personnages principaux, d’allure plus fantastique et colorée pour le chœur, «entre Les Enfants du paradis de Marcel Carné et Alice au pays des merveilles de Tim Burton». Mais le public peut se raccrocher sans peine aux repères d’une Bohème traditionnelle, même s’ils sont plus évasifs dans les tableaux centraux: poêle et lit pliant en fer, mitaines et écharpes, robe rose ou longs manteaux.
Les aléas du retour (partiel) à la version originale non sous-titrée n’ôtent rien à la réussite musicale de ce spectacle, grâce à une distribution homogène et de qualité, réunissant des habitués du festival qu’on a toujours plaisir à retrouver. Isabelle Philippe campe une Mimi qui semble hors du monde dès le premier tableau, comme déjà consciente de son destin et l’acceptant; c’est ce que suggère également son chant très droit, presque sans vibrato, aux graves profonds et riches et aux aigus généralement sûrs. Andrea Giovannini rayonne en Rodolfo: s’il est sans doute aidé par la langue, plus flatteuse, nul doute qu’il se serait imposé avec autant d’éclat en français, car il étonne par sa capacité à s’imposer dans un registre vocal et scénique si différent de celui de successeur de Luis Mariano qu’il incarne parallèlement. Eduarda Melo, qui, justement, était Maria-Luisa à ses côtés dans La Belle de Cadix, impressionne de nouveau par sa technique et son aplomb, mais elle aurait pu, elle aussi, s’en tenir au texte italien, car la diction de sa Musette paraît perfectible. Ce n’est pas le reproche qu’on pourra adresser au Marcel de Christophe Lacassagne, bien au contraire, solide et clair, soignant le phrasé. Le Colline de Jean-Claude Sarragosse est au moins aussi excellent, avec un somptueux «adieu au manteau», de même que le Schaunard d’Alain Herriau. Eric Perez parvient à se faire remarquer dans ses deux brèves apparitions en M. Benoît puis en Alcindoro (alias Saint-Phar en version française). Comme toujours à Saint-Céré, la partition orchestrale est légèrement arrangée pour un effectif relativement réduit: l’occasion pour Dominique Trottein de diriger en souplesse et en finesse, sans négliger pour autant les contrastes.
Le site du château de Castelnau-Bretenoux
Le site d’Isabelle Philippe
Simon Corley
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