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La belle de Séville

Saint-Céré
Théâtre de l’Usine
07/27/2010 -  et 20 (Aurillac), 22 (Tulle), 29 (Cahors) juillet, 4, 8, 11*, 13 août (Saint-Céré)
Georges Bizet : Carmen (conception musicale et orchestration de Marie-Claude Arbaretaz et Youssef Kassimi Jamal)

Clémentine Margaine (Carmen), Carlo Guido (Don José), Cécile Limal (Frasquita), Dalila Khatir (Mercédès), Eric Vignau (Le Remendado), Christophe Lacassagne (Zuniga), Laurent Arcaro (Le Dancaïre), Yassine Benameur (Garcia), Béatrice Burley, Sonia Fakhir, Patrick Bouny, Caroline Bouju
Thomas Saulet (flûte), Cyril Carbonne (clarinette), Loïc Sonrel (trompette), Youssef Kassimi Jamal (oud), El Mostafa Ait Ramdan (kanoun), Jairi Abdelmounaim (percussion), Marwan Fakir (violon oriental), Mohammed El Hachoumi (violon), Marie Kuchinski (alto), Valérie Kohlrusch (violoncelle), Jean-René da Conceiçao (contrebasse), Dominique Trottein (direction musicale)
Olivier Desbordes (mise en scène et dramaturgie), Patrice Gouron (costumes, décors et lumières)


C. Margaine, C. Guido (© Nelly Blaya)


La «Carmen arabo-andalouse», adaptation de l’œuvre de Bizet (1875) mêlant l’Orient et l’Occident, conçue voici près de dix ans pour être montée à Marrakech, constitue l’un des temps forts de l’édition 2010 à Saint-Céré. Il faut en effet y voir une sorte de retour aux sources pour le festival, qui marque ses trente ans en reprenant l’une de ses productions les plus emblématiques.


Retour aux sources également pour l’Espagne: aux antipodes de la carte postale de La Belle de Cadix (voir ici), voici la belle de Séville et une péninsule ibérique autrement plus authentique, remontant profondément à ses racines, jusqu’à cette Al-Andalus qui a précédé la reconquista. Après le sucré et l’acidulé de Francis Lopez, voici un goût plus amer et salé, d’abord dans l’âpreté et le dépouillement des costumes, décors et lumières de Patrice Gouron, autour d’un simple plateau carré au fond duquel les musiciens «occidentaux» et «orientaux» sont mêlés sur deux rangs, chacun ayant revêtu une djellaba et un bonnet, face au chef Dominique Trottein. Carmen aime à se déplacer au bord de ce plateau, comme une image de sa manière de se mettre sans cesse en péril et d’évoluer au bord du gouffre.


Mais la figure centrale n’en est pas moins le cercle, celui que forment les chanteurs, ou bien, au dernier acte, celui tracé au sable avec un compas fait d’une pique et d’une corde: cercle fatal dans lequel Carmen pénètre sans hésiter, revendiquant sa liberté jusqu’à aller au devant de son sort, péroraison moins mélodramatique mais non moins efficace que celle de Bizet, étreinte plus que meurtre, au son du thème du destin murmuré par le violon «oriental» puis par le violoncelle. Quelques chaises, des ampoules tendues entre trois piquets et des tapis pour le cabaret du deuxième acte, des costumes attribuant à chacun son rôle avec sobriété, et le tour est joué: ces bohémiens sont bien moins factices que les gitans des environs de Cadix.


Retour aux sources, enfin, pour Carmen, car Olivier Desbordes en revient à la nouvelle (1845) de Mérimée, resserrant le livret (et la partition à l’avenant), supprimant les personnages ajoutés par Meilhac et Halévy (Escamillo, Micaëla) et rétablissant celui qu’ils ont écarté (Garcia, le mari de Carmen). Il en conserve aussi la structure rétrospective, Don José narrant une histoire, la sienne, comme le laisse comprendre le prologue: youyous, percussion «orientale» et solo de clarinette se succèdent, puis c’est l’air du toréador qui retentit, transformé avec talent par Yassine Benameur en mélopée dont le violon «oriental» épouse les courbes et dont les paroles en arabe classique invitent l’assistance à prêter l’oreille au conte. Rituel du récit ou récit du rituel, les choses sont en place, et l’action peut alors s’engager, comme un long flashback, sans l’Ouverture, mais directement avec le chœur introductif du premier acte.


L’opéra, sans doute l’un des quatre ou cinq plus célèbres du monde, a connu bon nombre d’avatars plus ou moins orthodoxes, du ballet de Chédrine aux films de Godard et Rosi en passant par la comédie musicale de Hammerstein: il a la peau dure et le crime de lèse-majesté n’était donc pas à craindre. Le risque était cependant d’une autre nature: assorti de slogans aussi séduisants et confortables que creux et attendus («dialogue des cultures», «métissage», ...), un tel projet aurait pu sombrer dans la démagogie ou l’à-peu-près, ou même se contenter de relever un défi de nature à intriguer ou à provoquer. Mais c’est évidemment mal connaître le maître des lieux, aussi à l’aise pour rendre un hommage délirant aux mânes de Luis Mariano que pour réaliser un spectacle rude et dense, d’une saisissante vérité et d’une universalité qui résiste à l’épreuve du temps.


L’arrangement écrit par Marie-Claude Arbaretaz et Youssef Kassimi Jamal, qui tient par ailleurs la partie d’oud (luth) et a composé les musiques «orientales» originales, ne recherche pas une hypothétique fusion, mais trouve des passerelles au-delà des différences de traditions et de techniques: les sept instruments «occidentaux» (flûte, clarinette, trompette et quatre cordes) et les quatre «orientaux» (oud, violon, kanoun et percussion) se complètent plus qu’ils ne se fondent ou s’opposent. Dans ses rythmes et intonations, l’Andalousie avoue ses origines mauresques, grâce à d’insensibles transitions: improvisation à l’oud au début du deuxième acte, «chanson bohème» (trio), un peu plus loin, où les mains frappent en cadence, troisième entracte (avec son solo de flûte) évoluant vers une improvisation du kanoun (cithare), du violon et de l’oud, avant de s’effacer devant le chant, tandis que le quatrième entracte («Aragonaise») glisse progressivement vers un solo d’oud.


En l’absence de toréador et d’innocente fiancée, le poids se reporte encore plus que dans la version originale sur les deux personnages principaux. Clémentine Margaine épate par son style, son incarnation assurée, dure et résolue, sa voix ductile et bien placée, sa diction presque parfaite, quelques mots restant toutefois engorgés dans le grave. Ce n’est pas un manque d’engagement qu’on pourra reprocher au Don José de Carlo Guido: moins nuancé et précis que sa partenaire – le fameux si bémol de «La fleur que tu m’avais jetée» est tout sauf pianissimo – le ténor livre néanmoins un dernier acte d’une rare intensité.


Montée dans trois autres villes durant le festival, la production, lorsqu’elle est donnée à Saint-Céré même, investit en principe le château de Montal, aux abords immédiats de la ville. En ce 11 août, la météo paraît toutefois menaçante, conduisant les organisateurs à opter pour la prudence – de fait, quelques gouttes de pluie viendront taquiner le public à l’issue de la soirée. C’est donc au théâtre de l’Usine, ancienne fabrique de malles et valises devenue usine à rêves, qu’elle se replie. Le traditionnel pique-nique d’avant-spectacle, confiné dans une salle éclairée à la bougie, y perd indéniablement de son charme, sauf pour les inconditionnels du Grand Timonier, dont un immense portrait surveille les convives. En revanche, à l’exception peut-être des deux actes centraux, où le cabaret et la montagne des contrebandiers auraient peut-être bénéficié de la magie du plein air, l’ensemble y gagne beaucoup: le huis clos contribue à la force de la représentation, d’autant qu’elle est concentrée en une heure et demie se déroulant d’une seule traite. Avec un chœur qui, mettant notamment à contribution les six rôles secondaires (dont la Mercédès haute en couleur de Dalila Khatir), ne dépasse pas dix chanteurs, et une formation instrumentale de onze musiciens, ce n’est évidemment pas de «grand opéra» qu’il est ici question. La réussite de cette production n’est pas grande non plus, car elle est bien plus que cela: immense.


Le site de Clémentine Margaine
Le site de Dominique Trottein



Simon Corley

 

 

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