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La foire à Gaveau

Paris
Salle Gaveau
12/08/1997 -  
Lieder de Franz Schubert, Wolfgang Amadeus Mozart, Claude Debussy, Richard Strauss
Marie Devellereau (soprano), Jean-Marc Bouget (piano)

La mine renfrognée, le regard obscur, le sourcil froncé et le vêtement sobre sont des signes qui permettent sans aucun doute d'identifier le mélomane qui se dirige péniblement vers la salle Gaveau pour y entendre, dans un cadre strict et quelque peu délabré, de la musique irrémédiablement sérieuse. Pourtant, en ce lundi 8 décembre, Marie Devellereau semblait avoir décidé de rajeunir la vieille institution, quitte à commettre un sacrilège.

La première partie du récital n'a pas outrepassé les limites du convenable. Dès les lieder de Schubert (D777, D904, D692, D827, D720, D550), la chanteuse a révélé un penchant naturel pour la comédie, mais qui se mettait tout naturellement au service de la musique. Le lied, qui nous raconte une histoire, s'accompagne chez elle spontanément d'expressions de visage justes, bien que toujours un peu décalées - son jeu demeure comédie, ironie, il refuse toute tentation naturaliste. Son expression favorite semble d'ailleurs être la moue boudeuse de l'enfant capricieux. C'est de cette moue qu'elle indique au pianiste - qui de son côté se perd dans son tas de partitions à la recherche du morceau suivant - qu'elle est prête. Il s'agit ici déjà d'opéra, mais d'un opéra perdu sur une scène trop vide, dans un cadre trop strict. Le chant de Marie Devellereau est très beau, travaillé parfois jusqu'au maniérisme. Elle étonne par la variété de ses moyens vocaux, par la souplesse de ses nuances dans l'aigu, par son imagination expressive. Pas une note n'est livrée à elle-même, tout doit se soumettre à une intention dramatique toujours personnelle. Si la légèreté de son jeu de scène pouvait surprendre dans Schubert, soudainement rajeuni et guilleret, sans pour autant jamais choquer, elle était parfaitement à propos dans Mozart, plus extraverti (Vorrei Spiegarvi, KV418, et L'" air de Blondchen " de L'enlèvement au Sérail).Cette première partie de récital, bien que très convainquante, semblait inaboutie, Marie Devellereau paraissant se censurer d'elle-même, brider sa fougue naturelle pour se soumettre au cadre figé du récital, ne trouvant pas la scène qui aurait justifié davantage de jeu. Les contrastes auraient pu être davantage accusés, le jeu plus dramatique.

C'est dans la seconde partie du récital que l'interprète commit l'irréparable : céder à son désir d'opéra en faisant fi de la loi du récital, qui doit se vouer tout entier à l'oreille. Le choix des Six Chansons dédiées à Mme Marie Blanche Vasnier de Debussy n'était pas très pertinent - difficilement transposable sur une scène de théâtre. Marie Devellereau y manqua de la simplicité et de l'intériorité dans le jeu que requiert cette partition. Le texte en était inintelligible; la charge dramatique imposée à l'oeuvre, dans le chant et les expressions corporelles, peut-être trop lourde. Marie Devellereau sut pourtant retourner la situation à son avantage, faisant basculer, en un acte impie, le récital du côté de l'opéra. Dans la dernière pièce, " Coquetterie posthume ", dont le ton ironique lui convenait bien, elle entreprit, sur la scène de cette bonne vieille maison, oubliant tous les devoirs du récital, de séduire son pianiste, l'accompagnateur de l'ombre auquel aucune attention n'est due. Elle se dirigea, tout en chantant, vers lui, sur le tabouret duquel elle s'assit et l'enlaça en le couvant de son regard de braise, tandis que le malheureux courtisé tentait tant bien que mal de jouer sa partie tout en lui exprimant son émotion. L'irréparable ayant été commis, l'interprète, définitivement déshonorée, pouvait enfin laisser libre cours à ses lubies. Une chaise de velours rouge, jurant parfaitement avec le rose layette de la décoration du lieu, servit de décor aux trois Ophelia Lieder op. 67 de Strauss, dans lesquels Marie Devellereau campa une bourgeoise hystérique du plus haut niveau. Les lieder op. 68, n° 1, 2 et 5 furent un moment de répit pour l'interprète et ses auditeurs, qui ne savaient pas encore sur quel pied danser, habitués à une longue tradition de rigueur.

Les quatre rappels furent l'occasion pour l'interprète de révéler à la salle sa vraie nature. Le public était enfin autorisé à rire, puisque l'interprète le permettait, étalant au grand jour son sens de l'humour maniéré - et même à rire pendant que l'interprète se livrait à son activité sacrée, le chant - comme au théâtre, au cabaret, ou pire, au cirque ! Elle s'adressa à la salle en minaudant - la tentative de séduction de son partenaire l'ayant probablement laissée sur sa faim - la chargeant de deviner quel était son " cheval de bataille ", l'air qu'elle ne pouvait pas ne pas chanter. Evidemment, de toutes parts ont fusé des réponses accueillies par un " non " mutin - tout le monde n'a pas en tête le répertoire fétiche de la jeune Marie Devellereau ! Elle annonça également que c'était le bicentenaire de la naissance de Gaetano Donizetti, et qu'à cette occasion... elle n'en chanterait pas. Elle chanta donc Bernstein, Bellini, un Negro Spiritual et enfin Poulenc, pour qui elle semble avoir un attachement particulier.

Une carrière comique est toute indiquée dans le cas d'une - improbable - reconversion. Marie Devellereau semble ne pas supporter le sérieux du récital, elle se voit donc contrainte d'enchanter son public pour excuser ses débordements. Elle chante pour des êtres humains, et semble préférer entendre leur rire plutôt que leurs soupirs d'extase simulés. La salle Gaveau s'est, une fois n'est pas coutume, dispersée d'un pas allègre, l'oeil pétillant, le sourire aux lèvres et le rose aux joues. Malgré la pluie. Sur la scène, c'était une personne, avec un corps, des désirs, du rire, des histoires à raconter qui habitait la musique - pas un pantin autiste remplissant son devoir de musique enfermé dans un sérieux glacé destiné sans doute à convaincre le public de la qualité de sa prestation. La scène de la salle Gaveau, pour un soir, était une véritable scène, un lieu de rencontre, de danger, un lieu subversif, comme devrait l'être toute scène lyrique, celle du récital comme celle de l'opéra. Dans le chant, et dans toute musique, c'est le corps qui parle - pourquoi vouloir l'oublier ? Espérons, puisque les portes ne semblent pas si difficiles à enfoncer, que le miracle se reproduira.



Née en 1971, Marie Devellereau vient d'achever son cycle de perfectionnement au Centre de Formation Lyrique de l'Opéra National de Paris. Elle est également diplômée de la Juilliard School de New-York. Elle a obtenu, en juillet 1996, un premier prix au Concours Belvédère de Vienne et a remporté, à l'unanimité, les premiers Voices Masters de Monte-Carlo, en juin 1997. Elle se produit régulièrement en récital ou à l'opéra, et a enregistré pour DECCA le rôle de La Charmeuse dans Thaïs, de Massenet, et celui de Chou-Chou dans Die Kathrin, de Korngold. En 1998, elle chantera le rôle de Constance dans une nouvelle production du Dialogue des Carmélites, de Poulenc, sous la direction de Seiji Ozawa, au Festival de Saito-Kinen (production qui sera reprise à l'Opéra National de Paris en 1999).


Gaëlle Plasseraud

 

 

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