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Chanter à émouvoir les étoiles

La Roque
Parc du château de Florans
07/23/2010 -  
Johannes Brahms : Concertos pour piano n° 1 en ré mineur, opus 15, et n° 2 en si bémol majeur, opus 83

Nicholas Angelich (piano)
Orchestre Philharmonique de l’Oural, Dmitri Liss (direction musicale)




L’ouverture du Festival international de piano de La Roque d’Anthéron, le trentième déjà, est un moment particulièrement excitant, coup d’envoi de cet événement un peu fou, en tout cas vraiment prodigieux, qui, en un mois entier et presque 100 concerts, voit défiler pratiquement tout ce qui compte dans le monde du clavier, les plus grands maîtres et les jeunes talents les plus prometteurs. Le concert inaugural nous a directement propulsé sur les sommets, au moins le temps du Premier concerto de Brahms. Le spectacle débute à la nuit tombée, et les auditeurs découvrent les nouveaux sièges strapontins qui permettent une circulation plus aisée et laissent davantage de place autour de soi. Les lumières du parc s’éteignent, ce qui fait taire instantanément les cigales, et la musique s’épanouit sereinement. Pourtant, le mistral souffle ce soir-là, mais la grande conque acoustique nous protège et permet une audition très satisfaisante. Sans doute le son parvient-il davantage par bribes dans les dernières rangées, mais cela peut constituer un effet plutôt romantique, même s’il est alors plus difficile d’apprécier l’interprétation.



D. Liss & N. Angelich (© Xavier Antoinet)


Dès l’introduction orchestrale, nous sommes rassurés par la pâte sonore plutôt consistante de l’Orchestre Philharmonique de l’Oural, placé sous la direction de son chef principal, Dmitri Liss, tous nettement plus convaincants que lors de certaines prestations discographiques antérieures, parfois bien décevantes il faut avouer. Il y a toutefois un certain nombre d’accrocs, un peu plus que les aléas usuels du concert, mais qui restent ponctuels, et n’empêchent pas d’apprécier la musique. Dans le Maestoso initial, Dmitri Liss ose des tempi très amples, au risque de paraître manquer de tension dans les moments doux, mais cela s’accorde à merveille avec la volonté interprétative de Nicholas Angelich, qui déploie d’immenses phrases d’une tendresse éperdue. Même lorsqu’il joue pianissimo, les auditeurs demeurent suspendus à ses moindres inflexions, et l’on a l’impression que son chant s’élève dans la nuit jusqu’au étoiles, pour les émouvoir elles aussi. Angelich et Liss restituent bien la dialectique de ce premier mouvement, entre explosions de passion noire, désespérée, et recueillement intime. L’Adagio paraît prolonger le Maestoso tout naturellement, et Angelich soutient et habite la lenteur extrême de cette immense méditation, comme très peu de pianistes y parviennent. Et l’orchestre, conduit avec une délicatesse exemplaire par Dmitri Liss, lui répond avec une infinie douceur. Le Finale renoue avec la vie d’une manière noble et fière, mais là encore on remarque l’art d’Angelich de faire passer une intensité prodigieuse dans les moindres notes murmurées, sans hausser le ton ni marteler. Comme à chaque concert que nous avons eu le bonheur d’entendre de lui, il confirme l’impression que laissent également ses disques, que nous avons affaire au plus grand pianiste brahmsien de notre époque, l’héritier spirituel de Julius Katchen.


Malheureusement, après ce moment de grâce absolue, le Second concerto nous a fait rechuter dans les dures réalités des contingences matérielles, à cause de défauts de plus en plus envahissants à l’orchestre, surtout chez les cuivres et les bois, qui ne réussissent guère qu’un solo sur deux, et surtout semblent peiner à s’accorder dès qu’ils jouent ensemble. Mêmes les cordes ne sont pas épargnées, avec des défauts d’intonation vraiment très fâcheux, par exemple lors de la reprise par les seuls violoncelles solistes du sublime thème de l’Andante dès les montées dans l’aigu. Ces défaillances nombreuses viennent trop fréquemment briser l’agrément musical, même si le jeu de Nicholas Angelich est toujours aussi magnifique et inspiré. Mais dans ce Second concerto, l’écriture imbrique davantage piano et orchestre, et ne laisse que très peu de phrases purement à découvert au clavier. On pourrait charitablement mettre ces scories au compte du mistral de plus en plus intense. Plus vraisemblablement, l’œuvre à dû être moins travaillée, ce qui se conçoit vu le programme de stakhanoviste dans lequel s’est engagé cet ensemble, quatre concerts lors des cinq premières journées du festival, consacrés après Brahms à Rachmaninov, Saint-Saëns et Ravel. Projets fastueux, merveilleuse ambition, dont il faut encore avoir les moyens! Mais ne gardons en mémoire que le mérite du Festival d’avoir choisi un pianiste-mage pour cette inauguration, qui nous a offert presque une heure d’élévation sublime le temps du Premier concerto, laquelle s’est prolongée lors de trois bis totalement anti-virtuoses et d’une merveilleuse intimité, la Mazurka opus posthume «Notre Temps» de Chopin, et deux Scènes d’enfants de Schumann, «Gens et pays étrangers» et «Le poète parle». Jamais signature ne fut plus méritée.


Le site du festival de La Roque d’Anthéron



Philippe van den Bosch

 

 

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