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L’Enchanteur et le Farfadet Aix-en-Provence Grand Théâtre de Provence 07/18/2010 - Wolfgang Amadeus Mozart : Le Nozze di Figaro, K. 492: Ouverture
Ludwig van Beethoven : Concerto pour violon en ré majeur, opus 61
Jean Sibelius : Symphonie n° 5 en mi bémol majeur, opus 82
Nikolaj Znaider (violon)
London Symphony Orchestra, Kazushi Ono (direction musicale)
K. Ono (© Eisuke Miyoshi)
Sans être proche de la forêt de Brocéliande, Aix-en-Provence est un lieu quelque peu magique, et l’on y croise d’étranges personnages, surtout lors du festival d’été, tels que Kazushi Ono, appelé pour remplacer Colin Davis, souffrant, pour diriger le second concert du London Symphony Orchestra, après Stéphane Denève la veille. Ce musicien japonais est surtout connu pour ses activités lyriques : directeur musical du Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles de 2002 à 2008, et depuis chef permanent de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, il a envoûté le public aixois avec Le Rossignol et autres fables, superbe spectacle fondé sur des musiques de Stravinsky.
L’allure de lutin espiègle du personnage se trouve confirmée par le tempo infernal qu’il adopte pour l’Ouverture des Noces de Figaro de Mozart. Les cordes du LSO s’amusent à manifester leur virtuosité, mais les vents peinent à suivre, et savonnent quelque peu. Le son n’a pas le temps de s’épanouir, et finit en bouillie. Après cette entrée en matière en forme de plaisanterie, qui évoque ce pince-sans-rire de Richard Strauss (qui disait: «Pour le final de la Jupiter, quand vous croyez diriger le plus vite possible, doublez le tempo!»), Kazushi Ono nous rassure pleinement sur sa musicalité dès les premières mesures du Concerto pour violon de Beethoven, allant sans excès, allégé, dépourvu de brutalité, où il donne beaucoup de souffle aux amples mélodies, dessinées avec un lyrisme élégiaque. On savoure les interventions de chaque pupitre et les admirables couleurs de cet orchestre exceptionnel. Il offre ainsi un écrin idéal à l’entrée en scène de l’Enchanteur: Nikolaj Znaider, qui fait magnifiquement chanter son violon, avec une sonorité très pure et une sûreté d’intonation impeccable. Comportant de merveilleux dialogues avec l’orchestre, notamment le basson ou les cordes en pizzicato, le développement de l’Allegro ma non troppo, la fin de la cadence et la coda, et tout le Larghetto, sont autant de moments sublimes d’intériorité et de poésie rêveuse, qui marquent à jamais la mémoire d’une mélomane! Après un Rondo final enjoué, mais toujours d’une grande finesse, le bis de Znaider, la Sarabande de la Deuxième Partita de Bach, nous ramène sur les sommets de la méditation céleste.
A l’opposé de son classicisme inspiré dans Beethoven, Kazushi Ono semble avoir des idées très personnelles et originales sur la Cinquième Symphonie de Sibelius, composée en 1915 et remaniée jusqu’en 1919. D’emblée, les mélodies paraissent bizarrement dessinées, dépourvues d’assise et d’accentuation rythmique. Il devient vite clair qu’Ono tente de rendre Sibelius plus contemporain qu’il n’est, de le tirer vers Edgar Varèse par exemple! Ainsi cette manière de mettre au premier plan les trémolos des cordes figurant des frémissements nébuleux, au milieu du premier mouvement, alors que ce ne sont que des éléments de fond de la complexe polyphonie agencée par le compositeur. Ou d’exiger en outre des trombones d’exécuter leur motif en glissando! Jamais nous n’avons entendu cela de la part des grands interprètes sibéliens, de Kurt Sanderling à Osmo Vänskä! S’il ne s’agissait d’un des meilleurs orchestres du monde, et rompu par Colin Davis à l’interprétation de cette musique, nous pourrions croire à un manque de préparation et de maîtrise, mais il est clair que les musiciens réalisent ici la volonté du chef. Or ce passage qui sonde les abîmes est déjà suffisamment original et angoissant tel que Sibelius l’a conçu, qu’il semble bien inutile d’en rajouter ainsi, d’autant que cela prive le mouvement de sa progression logique: il n’y a plus guère de continuité ni d’unité stylistique avec l’effet de lever de soleil et le Scherzo qui le conclut. En revanche, ce Scherzo est ici merveilleux de précision, tout en restant idéalement moelleux et ouaté, avant une coda brillantissime. L’Andante, sorte de rêve de valse tchaïkovskienne démembrée, manque aussi de clarté et de carrure, et le Final alterne moments touffus, brouillons, et d’autres plus convaincants. Nous nous inquiétions de ce traitement infligé à une musique admirable, bien trop rarement jouée, qui cherche encore son public, du moins en France, mais les auditeurs ont néanmoins chaleureusement accueilli le chef et l’orchestre. Il est vrai que malgré les idées parfois excessives de Kazushi Ono, il restait beaucoup de beautés à savourer dans cette prestation, à l’instar du superbe thème du Final, tellement euphonique que les Beach Boys en ont fait un tube de variété! Et puis, on pardonne tout au chef qui a si bien épousé la conception de son soliste Nikolaj Znaider dans le Concerto de Beethoven, et nous a ainsi menés au comble de l’extase!
Le site de Nikolaj Znaider
Philippe van den Bosch
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