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Les lois de la gravité Paris Théâtre du Châtelet 11/27/1997 - Franz Schubert : Symphonie n°5, Symphonie n°9 "La Grande" Orchestre Royal du Concertgebouw d'Amsterdam, Nikolaus Harnoncourt (direction) Le dernier concert de l'intégrale des symphonies de Schubert donnée au Châtelet par Nikolaus Harnoncourt à la tête du Royal Concertgebouw d'Amsterdam fut un bon concert qui laisse partagé ; ce fut en tout cas un concert intéressant, étonnant.
Du fait de son travail innovant sur Mozart, on attendait Harnoncourt dans la Cinquième symphonie, la plus mozartienne des symphonies de Schubert. Et l'esprit de Mozart fut bien présent dans la salle. On ne peut pas reprocher à Harnoncourt de ne pas avoir fait ce qu'il fallait, mais en fait plutôt le contraire : le second thème de l'allegro paraissait un peu scolaire, académique diraient les mauvaises langues, et les contrastes dynamiques (souvent pour les cadences) un peu lourds et téléphonés, quand ce n'était pas un peu secs. Tout cela est d'autant plus gênant que cela revenait sans cesse, Schubert n'hésitant pas à répéter plusieurs fois les mêmes phrases. L'ennui n'était alors pas loin. Dans l'andante, les cordes ont joué avec une pâte sonore baroque, une "sonorité blanche" due à des cordes peu vibrées, avec l'épaisseur de son caractéristique du Royal Concertgebouw. Le résultat était beau, plutôt triste, mais sans être réellement émouvant. Ce fut en fait au dernier mouvement, l'allegro vivace, que Harnoncourt et "ses" musiciens furent totalement convaincants, faisant se déchaîner les éléments et sortant de la torpeur d'un "classique" empesé. C'est là que l'on put ressentir la tension et l'urgence de Schubert.
La Neuvième symphonie fut au contraire tout à fait convaincante, Harnoncourt happant l'auditeur dès le départ et sans relâche, atteignant ainsi son objectif : "avant tout dégager un contenu émotionnel". C'est donc avec justice que le public lui fit une ovation longue et appuyée. Le tempo était dans l'ensemble allant, les accents étaient captivants, et les forte, d'une grande densité. Le moins qu'on puisse dire est que l'orchestre formait une masse sonore assez compacte, l'écart entre les vents et les cordes étant minimal. Harnoncourt a pris l'option de mettre les vents radicalement en avant, y compris dans les forte, lorsque les cordes jouent elles aussi à plein - ce qui les reléguait dans un rôle d'accompagnement, certes conforme à l'écriture de la symphonie, mais de manière beaucoup plus radicale qu'à l'accoutumée. Et cela fonctionnait bien, en donnant un certain privilège à l'aspect rythmique et dynamique sur l'aspect mélodique. Harnoncourt insiste sur les contrastes dynamiques, souvent sans préparation, ainsi que sur les répétition rythmiques lancinantes. Certains auront peut-être vu de la sécheresse ou de la violence illégitimes dans ces contrastes. Le scherzo ne manquait pourtant pas de charme, et toute rudesse y était absente dans les cadences et les accents.
En dehors de l'aspect dynamique, Harnoncourt a beaucoup travaillé la couleur de l'orchestre, qui restait extrêmement sombre, dans des couleurs automnales. Les cordes du Concertgebouw sont réputées pour leur rondeur et leur épaisseur (sans connotation péjorative, au contraire). Sauf peut-être dans le scherzo, où certains passages furent un peu plus lumineux, les vents (qui pour certains au moins utilisaient des instruments d'époque) jouèrent dans le même registre - se fondant d'ailleurs souvent dans les cordes, ce qui donnait un équilibre cordes-vents assez particulier. C'est d'ailleurs ce rapprochement qui donnait souvent cette impression de densité ou de compacité du son. Avec cette couleur sonore, la musique de Schubert ne laissait pas beaucoup d'issues. L'angoisse et la tristesse restaient au premier rang - alors même que Harnoncourt est loin d'en rajouter au niveau du pathos.
Harnoncourt refusait avec une résolution étonnante l'aspect dansant et léger de Schubert, qui donne cette impression de résignation ou de tristesse en demi-teinte. C'est ce qu'il y a à la fois d'intéressant et de discutable dans son interprétation. Les danses apparaissaient toujours comme des marches. Il n'y a guère que l'Allegro vivace du scherzo qui fut un peu détendu. Le trio fut joué avec tristesse, Harnoncourt dirigeant droit comme un I, alors que ce passage pourrait être tellement dansant. C'est peut-être en définitive cet intérêt pour la dynamique et le rythme joint à un refus de la danse qui caractérise l'approche de Harnoncourt - et qui peut donner cette impression de violence ou de sécheresse que certains lui reprochent. C'est ce qui donne cette interprétation terrienne, dans laquelle les musiciens ne troquent jamais leurs godillots contre des ballerines. On est alors écrasé par une espèce de pesanteur, qui ne peut nous entraîner que vers le bas, vers une chute certaine - gravitation qui correspondrait à l'état maladif de Schubert ? Selon Harnoncourt, "Schubert est par définition inquiétant. Il n'y a pas d'obligeance chez lui. On a l'impression de regarder au fond d'un gouffre". C'est assurément ce qu'il a réussi à faire entendre.
Stéphan Vincent-Lancrin
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