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Manon électrisante

London
Royal Opera House, Covent Garden
06/22/2010 -  et 25, 28 juin, 1er, 4*, 7, 10 juillet 2010
Jules Massenet: Manon

Anna Netrebko (Manon), Vittorio Grigolo (Chevalier des Grieux), Russell Braun (Lescaut), Christof Fischesser (Comte des Grieux), Guy de Mey (Guillot de Morfontaine), William Shimell (Brétigny), Simona Mihai (Poussette), Louise Innes (Javotte), Kai Rüütel (Rosette), Lynton Black (aubergiste)
Chœur du Royal Opera House, Renato Balsadonna (direction), Orchestre du Royal Opera House, Antonio Pappano (direction musicale)
Laurent Pelly (mise en scène), Agathe Mélinand (dramaturgie), Chantal Thomas (décors), Laurent Pelly et Jean-Jacques Delmotte (costumes), Joël Adam (lumières), Lionel Hoche (chorégraphie)


V. Grigolo & A. Netrebko (© The Royal Opera/Bill Cooper)


Quand deux bêtes de scène, deux chanteurs au tempérament de feu se retrouvent sur le même plateau, la confrontation ne peut que provoquer des étincelles. C'est ce qui s'est produit à Londres pour la nouvelle production de Manon à Covent Garden, avec Anna Netrebko et Vittorio Grigolo dans les rôles principaux. Un critique anglais résume d'ailleurs fort bien la situation lorsqu’il écrit que la soprano et le ténor dégagent suffisamment d'électricité pour illuminer le West End, le quartier londonien des théâtres... L’alchimie entre les deux interprètes fonctionne à merveille. Il est rare de voir sur scène deux artistes aussi ardents et passionnés, aussi investis dans leur personnage respectif, au point que le drame qui se joue apparaît d’un seul coup comme une évidence, une réalité. Pour peu qu’on soit prêt à fermer les yeux (ou plutôt les oreilles!) sur certaines imperfections, on tient là un spectacle d’exception. Passons alors rapidement sur les imperfections: pour elle, une diction française pour le moins exotique et des notes, surtout dans le registre aigu, tendues, voire mal assurées; pour lui, une fâcheuse tendance au cabotinage (avec notamment un sanglot final du plus mauvais effet) et un manque de nuances; dans la fosse, un tel débordement d’énergie et de fougue qu’on pourrait se croire dans un opéra de Puccini, loin de la délicatesse et de la mélancolie de Massenet. Mais on aurait bien tort de bouder son plaisir, tant le spectacle offert est tout simplement sensationnel.


Anna Netrebko possède une voix d’une richesse impressionnante, aux accents sombres et au velouté capiteux; qui plus est, la chanteuse est une musicienne accomplie. Dès le départ, sa Manon sait clairement ce qu’elle veut et est parfaitement consciente de l’effet qu’elle produit sur la gent masculine; on est donc loin de la jeune fille naïve et ingénue débarquant de sa province. A la fin du deuxième acte, lorsque Des Grieux est enlevé, elle se met à son balcon pour contempler Paris, à la façon d'un Rastignac. Dans l’acte du Cours-la-Reine, il faut la voir jouer la cocotte dans une somptueuse robe rose, menant du bout des doigts un groupe d’hommes la dévorant du regard. Et à l’Hôtel de Transylvanie, lorsque le chevalier lui avoue une nouvelle fois son amour, elle ne pense qu’à ramasser l’argent gagné au jeu. Même à l’agonie, le regard vide et absent, elle paraît faire peu de cas de son amoureux. Sans conteste, Manon reste à ce jour son meilleur rôle. Mais la véritable surprise de cette production est le Des Grieux de Vittorio Grigolo. Après son Hoffmann en demi-teinte à Zurich (lire ici), on pouvait nourrir certaines craintes. Fort heureusement, il n'en a rien été, et on peut supposer que le ténor a été bien encadré par le chef et le metteur en scène. Des Grieux amoureux fou, ardent et passionné, voix saine et solaire, projection insolente, bonne diction, sens du phrasé, pianissimi superbes et, on l’a déjà dit, présence scénique incroyable, Vittorio Grigolo a fait sensation pour ses débuts au Royal Opera House. A n’en pas douter, cette Manon londonienne devrait le propulser très rapidement au firmament des ténors. Il convient aussi de relever la belle prestation des trois courtisanes, Poussette, Javotte et Rosette. A la tête d’un orchestre en très grande forme, Antonio Pappano propose, pour sa part, une lecture d’une richesse éblouissante, faisant entendre mille et un détails, et où l’ardeur le dispute au romantisme.


Dans les décors austères et minimalistes de Chantal Thomas, Laurent Pelly signe un spectacle foisonnant de détails et dans lequel les personnages sont finement caractérisés. Il fait jouer un rôle central au chœur d’hommes, présent sur scène pratiquement de bout en bout, spectateur de la tragédie mais aussi acteur, notamment lorsque, après la représentation du corps de ballet, les badauds se jettent sans ménagement sur les danseuses ou lorsque les soldats qui arrêtent Manon la mettent à terre brutalement avant de la rouer de coups et de lui cracher dessus. Ce monde d’hommes, violents et gris, contraste avec les couleurs vives des tenues de Manon. Une Manon sans cesse courtisée, sans cesse sur le qui-vive, qui est une cousine de Lulu, ambivalente à souhait. Dès le premier acte, on l'a dit, les dés sont jetés, jamais son amour pour Des Grieux n'apparaît totalement sincère. Le parti pris est fort et cohérent. Reste à connaître l’impact qu’aura la production lorsqu’elle sera reprise par des chanteurs moins charismatiques, au Met, à la Scala et au Capitole de Toulouse, coproducteurs du spectacle.



Claudio Poloni

 

 

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