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La mort est un songe

Madrid
Teatro Real
06/14/2010 -  & 15, 17, 18, 21, 24, 27, 28, 30 juin
Erich Wolfgang Korngold: Die tote Stadt
Manuela Uhl (Marietta/Marie), Klaus Florian Vogt (Paul), Lucas Meachem (Frank/Fritz), Nadine Weissmann (Brigitta), Susana Cordón (Juliette), Anna Tobella (Lucienne), Roger Padullés (Victorin), Eduardo Santamaría (Le Comte Albert), Jesús Caramés, (danseur/Gaston)
Orchestre et chœur du Teatro Real, Jordi Casas (chef du chœur), Oscar Gershensohn (chef du chœur d’enfants), Pinchas Steinberg (direction musicale)
Willy Decker (mise en scène), Wolfgang Gussmann (décors et costumes), Wolfgang Göbbel (lumières)


(© Javier del Real)


La Ville morte, ce très bel opéra du jeune E. W. Korngold, âgé à peine de 23 ans, parvient à Madrid après des années d’oubli (d’abord à cause des nazis, puis, après la guerre, des avant-gardistes). D’abord ressuscité à New York dans les années 1970, il est suivi d’un enregistrement dirigé par Erich Leinsdorf pour RCA. Commençait alors la reconquête d’un passé négligé, bafoué, et la résurgence d’œuvres signées Goldschmidt, Schreker, Zemlinsky, Krása, Haas, Schulhoff etc. Les « dégénérés » de l’Exposition de Düsseldorf de 1938, beaucoup d’entre eux assassinés au champ. Il n’était pas question d’écrire une musique trop moderne pour ces « dégénérés », mais ils étaient juifs. La Ville morte reste un grand titre de cette délivrance, emblématique du répertoire du XXe siècle.


La mise en scène de Willy Decker est connue depuis son succès à Salzbourg et sa reprise à Paris. À Madrid, c’est Karin Voykowitsch qui assure sa réalisation. L’histoire de Rodenbach et des deux Korngold est en partie réelle, mais elle relève aussi de la logique onirique. On ne peut pas traduire théâtralement, sans tricher, ces deux niveaux par des images semblables. En même temps, il est inutile de trop vouloir éclaircir l’histoire au risque de prendre les spectateurs pour des enfants. On ne peut écraser la poésie par le didactisme. Or, Decker est un poète du théâtre qui s’affirme dans un domaine différent, dans une troisième voie, sorte de royaume de la double poésie où les histoires se démentent l’une l’autre en même temps que la vérité théâtrale s’affirme. Ce qui est vécu, contre ce qui est rêvé; ce qui est réel contre ce qui est subjectif ; la situation dramatique (Paul et son amour pour sa femme morte), face à une séquence de théâtre dans le théâtre (la scène du canal, avec les amis de Marietta). Les plafonds et les murs de la maison de Paul basculent, pentus, suggérant le rêve, avec un très beau dessin de Wolfgang Gussmann. Bruges la morte n’est pas ici trop évidente. Decker préfère, semble-t-il, l’intimité du cabinet de Paul, l’évocation suggestive de la ville par le texte chanté. La ville intérieure.


Dans le monde de l’opéra on connaît les difficultés de certains rôles de ténor dans la tradition de Siegfried ou de Ménélas (Die ägyptische Helena, de R. Strauss). Le rôle de Paul n’en est pas très éloigné. Les enregistrements existants nous montrent des ténors qui ont beaucoup de mal avec leur ligne, surtout avec les aigus et les transitions dans le medium. Klaus Florian Vogt possède un beau timbre, un médium superbe, lyrique, avec des aigus puissants ; il signe une interprétation d’une qualité vocale supérieure, malgré un certain recours, très minime, à la voix de fausset - d’ailleurs excessivement contesté à la fin du spectacle par une partie du public trop exigeante.


Manuela Uhl est une Marietta vivante, heureuse, bonne actrice, très à l’aise dans l’aigu et le medium, riche en nuances vocales et dramatiques, qui traduit la double dimension de la femme vivace et de l’épouse d’outre-tombe.


On sait bien que cet opéra est surtout un duo pour ténor et soprano, mais il y a aussi deux rôles très importants. Le baryton Lucas Meachem double son inspiration pour un de ces deux rôles, Frank, l’ami de Paul (un rôle de divergence à l’égard du protagoniste, et aussi un rôle qui éclaire le public), et Fritz, la voix chantante de la troupe de Marietta. Il joue si bien que ceux qui n’ont pas prêté attention à la distribution ont été surpris de retrouver le même chanteur à la fin de l’opéra. Nadine Weismann a agréablement surpris en Brigitta ; on ne s’attendait pas une voix si formidable pour un si petit rôle. Les cinq voix et le mime, les six amis de Marietta, dans la scène du canal, ne font pas pâle figure dans cette excellente distribution : Susana Cordon, Anna Tobella, Roger Padullés, Eduardo Santamaría, et le danseur Jesús Caramés. Véritable magie, rêve, moquerie, et cauchemar.


Die tote Stadt, tout comme Das Wunder des Heliane, est un opéra d’orchestre, riche, coloré, inépuisable, une vague musicale infinie. Un grand chef s’impose. Pinchas Steinberg est un des grands triomphateurs de la soirée, avec son dynamisme, son attention au détail, sa vision d’ensemble, très analytique, qui communique à la scène et à la salle une sensation parfois d’ivresse et d’ahurissement. Un chef de premier rang.


Malgré la nouveauté de l’ouvrage, le succès est incontestable pour cette (presque) fin de saison; la dernière, hélas, d’Antonio Moral, directeur artistique qui a fait du Teatro Real une scène européenne de premier plan.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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